Neige sur Ballyglass House
de John Banville

critiqué par Poet75, le 22 septembre 2022
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Comme un bon Agatha Christie
Les mots employés par John Banville pour parler de ce que fut l’Église d’Irlande jusqu’à une époque récente cognent fort. « L’Église fut notre goulag ! », dit-il ainsi dans une interview donnée à l’hebdomadaire L’Express. Et comment ne pas agréer, tant ce que l’on a appris sur les méthodes employées par les ecclésiastiques et les religieuses dans ce pays, comme d’ailleurs dans d’autres pays du monde (pensons au Canada), nous sidère et nous terrifie à bon droit ! On sait ce qu’il advenait, en Irlande, lorsqu’une fille était ne serait-ce que soupçonnée d’avoir eu une relation jugée coupable avec un garçon : elle était enfermée dans un des couvents des tristement célèbres Magdalen Sisters où elle devait travailler comme une esclave. Quant aux garçons, en tout cas ceux d’entre eux qui donnaient le sentiment d’être tant soit peu rebelles au bon ordre de la société, le traitement qui leur était réservé n’était guère plus enviable : enfermés de force dans des maisons de correction, ils étaient livrés au sadisme tant de leurs compagnons de servitude que des prêtres ou des religieux frères qui dirigeaient ces institutions. « On était tous prisonniers », dit l’un de ces prêtres dans le roman de John Banville. Certes, mais à condition de préciser que, parmi les ecclésiastiques, il en était qui profitaient de ces lieux pour assouvir leurs pulsions pédophiles, se choisissant l’un ou l’autre « chouchou » pour en abuser en toute impunité. Quant aux autorités religieuses, à commencer par les évêques, leur souci premier étant de protéger l’institution, en Irlande comme ailleurs, quand ils avaient connaissance qu’un des prêtres était déviant, ils se contentaient de le déplacer d’un endroit à un autre où, bien sûr, il pouvait continuer à perpétrer ses crimes.
Tous ces éléments, toutes ces effarantes révélations sur l’Église, nous les retrouvons dans le roman de John Banville, un roman qui s’articule tout entier autour d’une affaire de meurtre, l’assassinat d’un prêtre, durant l’hiver 1957, à Ballyglass House, alors qu’il neige depuis deux jours sans discontinuer. Le Detective Inspector Strafford, dépêché sur les lieux, découvre l’horrible réalité : guidé par le colonel Osborne, le maître des lieux, il est conduit jusqu’à la bibliothèque de la fastueuse demeure où gît le corps du père Tom Lawless, un ami de la maison, à qui l’on a non seulement tranché la gorge mais qu’on a également châtré !
Avec le concours de son adjoint Ambrose Jenkins, surnommé Banban, et de trois autres membres de la police, Strafford entreprend de résoudre l’énigme de ce meurtre en en désignant le (ou les) coupable(s). À Ballyglass House, outre le colonel Osborne et son épouse Sylvia, il faut compter avec leurs deux enfants Dominic et Lettie, mais aussi avec d’autres personnages intervenant au cours du récit, comme Fonsey, le garçon d’écurie, un marginal qui n’a pour domicile que sa caravane, ou le Dr Hafner que la mort du père Tom ne surprend pas : « ça devait arriver ! », affirme-t-il. Dominic, quant à lui, lorsqu’il est interrogé, affirme que le père Tom « n’aurait jamais dû entrer dans la prêtrise. Il n’était pas fait pour ça. »
Je n’en dis pas plus afin de ne pas trop en dévoiler sur une intrigue construite, habilement sans nul doute, mais, comme on a déjà pu le deviner, à la manière des romans d’Agatha Christie. C’est exagéré, à mon avis, que d’affirmer, comme le fait le critique du New York Times Book Review, dont la citation est reproduite sur la couverture du livre, que l’auteur finit par faire « voler en éclats » les codes des romans de cette dernière. En vérité, si John Banville réussit à composer un récit qui tient le lecteur en haleine, ce n’est pas tant du fait de l’originalité de l’intrigue que des thèmes abordés et de la singularité de certains personnages. Le chapitre le plus impressionnant de l’ouvrage, d’ailleurs, m’a paru être celui qui se détache de l’enquête proprement dite pour ramener le lecteur dix ans en arrière, dans la maison de correction de Carricklea où « oeuvra », si l’on peut dire, pendant un temps, le père Tom. Mais on sera interloqué aussi, sans nul doute, par les quelques passages du roman où il est question de McQuaid, l’archevêque de Dublin, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’émane pas de son personnage une image reluisante de l’Église catholique d’Irlande !