Vive la guerre
de Albin-Georges Terrien

critiqué par Catinus, le 12 septembre 2022
(Liège - 73 ans)


La note:  étoiles
Souvenirs d'un enfant ardennais
Albin-Georges Terrien : « Vive la guerre »
Fils et frère de paysans, Albin-Georges Terrien est né en 1934 à Engreux, petit village près de Houffalize. Il fut instituteur rural de 1956 à 1986.
« Vive la guerre » n’est pas un livre militariste. Il se fait juste que, le petit Albin détestant l’école, le 10 mai 1940 et les jours qui suivirent furent bénis des dieux puisqu’il n’y eu pas classe, rapport à la guerre.
« Un roman naturaliste, une véritable bible de la vie rurale « est-il dit en quatrième de couverture. Pour ma part, j’ai adoré ce livre car mon enfance s’est déroulée à Gouvy, soit à une trentaine de kilomètres d’Engreux ; avec juste 20 ans de décalage mais, en gros, la vie à la campagne en 1940 et en 1960 devait être sensiblement la même : on n’évoluait pas prodigieusement, en ces temps-là (ni maintenant d’ailleurs …).

C’est en 2013 que mon ami José Frérès m’a prêté ( ?) ce roman et m’en a conseillé la lecture ; je le remercie (José a souvent de bons plans et est de bon conseil).
Voici quelques mots -clés qui résumeront succinctement ce récit sentant bon ce « cher pays de mon enfance-bercé de tant d’insouciance » :
Rentrée à l’école- 10 mai 40, invasion de l’armée allemande – Catéchisme et haute pression exercée par l’église sur les enfants et les adultes – des dix commandements de l’église, les divers péchés – pas d’enterrement religieux pour les bébés morts non-baptisés, les suicidés, etc.. et ensevelissement à l’écart – Henri le réfractaire de Malmedy – on a tué le cochon – les « deux « de Pimpin – les jeux du docteur, du papa et de la maman, colin-maillard – les processions religieuses et les rogations – les glissades en hiver – les indulgences plénières – l’adoration perpétuelle – les bandits de Spitanche- le braconnage- la kermesse et les jeux - baptêmes et enterrements - rivalités entre les villages, jeux, joutes et crapuleries - les amis et les filles sont omniprésentes dans le récit ( même si Albin ne les aiment pas trop-trop) - bombardements et problèmes à l'étable - libération en 1944- l'offensive allemande de décembre-janvier 45 - le retour des prisonniers au village, ...

Quelques personnages rythment la vie d’Albin : le père et la mère, Mr Faucon, le curé, Mr Wagner, l’instituteur, Pinpin, le grand-père un peu rebelle.
Une bonne brique de 466 mais pas du tout indigeste, que du contraire. Se lit avec un ravissement certain.

Extraits :

- Le deuxième millénaire qui vient de s’éteindre aura été marqué par de nombreux fléaux. S’il fallait ne retenir que cinq dates, je pense que la majorité de nos contemporains s’accorderaient pour citer 1348 et sa fameuse peste noire qui fit 23 millions de morts en Asie et 25 millions en Europe, soit 25 % de sa population. 1832 et l’épidémie de choléra qui fit sensiblement autant de victimes. 1709 et sa terrible famine qui allait provoquer en Europe occidentale, au cours d’un hiver polaire, des morts par centaines de milliers (…) 1914 et l’éclatement de la Première Guerre mondiale avec ses neuf millions de victimes. Et enfin, 1940, date de mon entrée à l’école primaire et autres évènements catastrophiques.

- Le fautif rentrait illico en classe et devait copier cent fois pour le lendemain : « Je ne dois pas parler wallon dans la cour de récréation. »
(…) Une langue qui n’est plus pratiquée par une génération de jeunes est vouée à l’extermination.
- D’ailleurs, on n’entendait jamais une femme blasphémer. Il y avait bien une exception : la tenancière du café « Au lapin qui tousse ». Elle était aussi la seule femme qui fumait, et la pipe de surcroît.
- L’Ardennais, taiseux de nature – le silence est d’or - méprise les bavards.
- La cérémonie de relevailles consistait en une série de bénédictions pour que la maman qui venait de s’accoucher puisse à nouveau s’approcher des sacrements. Depuis des temps immémoriaux, l’Eglise avait décrété que la femme, en mettant un enfant au monde, devenait impure. Seul le prêtre pouvait la remettre en état de grâce.
- Le bruit courait que la veille de la déclaration de la guerre, la Vierge était apparue à une religieuse de Houffalize pour lui annoncer qu’un grand malheur allait frapper le pays.
- C’était encore le bon vieux temps où les filles n’avaient pas le droit de pénétrer dans le chœur de l’église, ni de s’occuper de ce qui avait trait au service de l’office. Le rôle des filles et de femmes étaient de prier, un point c’est tout.
- Soixante ans plus tard, on pourrait s’étonner de la docilité des paysans. Ce serait oublier le fardeau qui, au cours des siècles, avait pesé sur leurs épaules. Depuis la nuit des temps, le glaive et le goupillon s’étaient ligués pour les réduire à l’état d’esclaves. L’obéissance aveugle était leur seconde nature. Obéir au curé et au châtelain leur paraissait aussi naturel que les enfants obéissent à leurs parents.
- Je me rendis compte que la devise des trois F ardennais – Fin, Faux, Filou – n’était pas usurpée, du moins en ce qui concerne le premier terme.
- « Tu vois, dans la vie, il ne faut pas voler ni faire du mal aux autres. Pour ce qui est du reste … L’important est de ne pas se faire prendre. »
- Qu’est-ce que ce puissant sésame appelé indulgence plénière ? Si le jour de la Toussaint à midi jusqu’au 2 novembre, jour des Morts, à minuit, vous récitez dans l’église six Pater, six Ave et Six Gloire au Père à l’intention d’une âme du purgatoire, automatiquement dès que vous en avez terminé, Saint Pierre, sur l’ordre de Jésus, ouvrait la porte du purgatoire et appelait : - « Florentin Martiny, au paradis ! (Florentin, c’était le papa de papa).
- Les femmes d'Ardenne ne portaient pas de pantalon. Les hommes ne l'auraient jamais admis. Je ne sais pas s'il en allait de même dans le reste du pays, mais l'objectivité m'oblige à dire que les Ardennais étaient, à l'époque, et peut-être encore aujourd'hui, les talibans du Royaume.