Doigts tachés d'ombre
de Philippe Leuckx

critiqué par Kinbote, le 24 juillet 2022
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
C'est si beau une rue
C’est dans les rues que nous conduit ce nouveau bienfaisant recueil de Philippe LEUCKX car « c’est si beau une rue » au soir couchant, à ces heures où, écrivait Bernard-Marie Koltès, « s’échangent le jour et la nuit ».

Avant la nuit, le jour pousse ses dernières lueurs. Dans cet effort, il ramène du passé. Il accroche le fil de la mémoire, et des visages reviennent.

La terre monte vers les cris

L’âme reste fidèle

La terre est une voix aimante

En recel de visages

À cette heure, les « rues sont calmes et poudreuses », elles « ne sont presque plus des rues ».

« Dans une fatigue d’encre », on y réécrit le jour.

L’enfance est rameutée, et tous les parfums d’une existence.

Le corps rappelé à l’ordre dans le désordre des sensations, « dans la brouille secrète de s]on sang », on y voit plus clair dans son passé.


Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux

Comme d’autres mains nagent


Le soleil, affaibli, n’en a pas moins été au zénith, éprouvé à midi dans sa crudité et sa cruauté. Quand la lumière est rongée par la l’obscurité, on a faim d’hiers. La nuit tombante nous raccorde à notre existence : les souvenirs affluent, renforçant notre adhésion au réel.


Tu regardes s’éblouir la lune

Tu vas ton chemin

Dans la toison sourde des blés


Philippe Leuckx pratique une poésie à mi-voix, à laquelle il faut tendre l’oreille, une poésie qui s’épanche sans impudeur, ce qui requiert une position d’équilibre du corps et du cœur pour s’accorder au plus près comme au plus juste de la sensation.


L’œil toujours près de conquérir

Par le mot

Le vaste ciel des signes


Leuckx apaise sans les masquer les contours aigus des choses. Avec l’œil de la mémoire, il apprivoise les fantômes du passé comme les faux-fuyants de l’avenir.

L’enfance, la langue, l’ombre sont consolations pour le poète, moyens de dire les villes et les visages, ces soleils de l’être, les rues comme les traits singuliers, tous porteurs d’émotions, tous menacés d’oubli.


La ville est là toute chose dite

Avec ses veines ses rues


Le poète « demande tout à la poésie / La vie la ville l’éveil… »

Il tend à n’être « plus qu’une poignée de vers ».

Voilà donc une poésie qui s’allège des mots pour mieux affûter ses images « car écrire ose un vêtement léger ».

On sent aussi à travers les mots de Philippe Leuckx la nostalgie d’une enfance champêtre où les parents oeuvraient fébrilement dans les champs, au contact fécond de la nature, et un devoir d’en rendre compte, d’en porter témoignage, en gage d’une époque révolue.

Toutes les rues de Leuckx ramènent à l’être qui est enfance et présent mêlés, printemps éternel des sensations. Ce sont des rues familières, des lieux de rencontres heureuses qui rassérènent l’âme avant la traversée de la nuit.


Il fait printemps au cœur

De toute enfance

Qui écoute couler

Sa ville