Retourner à la mer
de Raphaël Haroche

critiqué par Tistou, le 3 mai 2022
( - 68 ans)


La note:  étoiles
13 nouvelles
C’est la découverte récente du chanteur-compositeur Raphaël qui m’a fait m’intéresser à la prose de Raphaël Haroche. Puisque Raphaël Haroche et Raphaël sont bien une seule et même personne. Je voulais vérifier si les côtés acidulé des textes et original des mélodies du compositeur se retrouvaient dans ses nouvelles.
J’ai failli avoir peur. La nouvelle qui ouvre le recueil, Yuri, est largement à base de dialogues. Et l’on sait qu’il n’est pas facile – au moins à mes yeux – de restituer à l’écrit une vraisemblance de dialogues. Et je dirais que ce n’est certainement pas là que Raphaël Laroche est le plus à l’aise. Ou du moins c’est ce que j’ai pensé en me disant sur les premières pages que je risquais d’être déçu dans cette histoire d’employés d’un abattoir qui échangent sur des banalités jusqu’à ce que Tomek, l’un des deux employés craque pour un petit veau et veuille le sauver du massacre et finalement l’oublie pour le week-end dans ledit abattoir. L’histoire est tordue, d’autant que le Yuri du titre s’avère être un chien, qui n’apparait que dans l’avant-dernière page de la nouvelle et que son seul titre de gloire est d’avoir voulu grimper la chienne du bûcheron et s’être fait punir en se faisant écraser les testicules par ledit bûcheron. Le rapport de Yuri avec l’histoire étant le regard du petit veau, qui lui rappelle celui de Yuri !
Finalement, c’est plutôt dans le ton des chansons de Raphaël, un peu bancales, ou décalées. Et la suite, les douze autres nouvelles - pas basées essentiellement sur des dialogues ! - s’avère tout à fait savoureuse, conduites par une belle imagination, pas forcément orthodoxe.
L’homme des sables est l’improbable histoire d’amour d’un vigile, sorte de gros nounours, avec une danseuse - stripteaseuse, déclassée et plutôt hors d’âge. On est dans le domaine « miracle de l’amour » !

»J’arrive au club, elle est encore en train de danser, je me sers un gin tonic, je la regarde du bar et ce spectacle est tellement triste, elle danse lourdement avec ses cicatrices qu’on dirait prêtes à craquer comme des fermetures éclair et j’entends les gens qui se moquent :
- T’as vu celle-là ?
- Elle a essayé de baiser avec une tondeuse ?
Je suis juste derrière, je pourrais les déconnecter en une seconde que la Terre ne s’en porterait pas moins bien, alors je ferme les yeux et je pense au désert. »


A la réflexion, c’est à un autre chanteur, qui écrit, que ce petit scénario m’a fait penser ; Mathias Malzieu, du groupe Dionysos. En passant …

Le dernier des pères est d’une tristesse absolue, l’histoire d’un père divorcé qui récupère son petit garçon, qu’il ne va bien sûr pas savoir prendre en charge et même que ça va plutôt mal se passer. On le sent venir et on n’est pas déçu ! Cette nouvelle-là m’a très fort fait penser à une nouvelle de Jim Harrison, dans un de ses derniers ouvrages mais je ne saurais être plus précis.
La réserve est une histoire d’amour qui tombe en vrille dans un décor – il me semble que ce n’est pas dit mais j’en mettrais le main de quelqu’un au feu – qui doit être celui du désert des Agriates dans le nord de la Corse. Cette nouvelle pourrait servir d’illustration à la chanson de collègues chanteurs (Rita Mitsouko) ; les histoires d’amour (qui finissent mal en général) !

Beaucoup d’enfants dans ces histoires, pas mal question d’amours aussi, et de micro-choses étranges, comme dans la nouvelle Les orques. Il y a même une nouvelle, Quel genre d’ami ferait ça ? qu’il a mis en musique et qui figure telle quelle dans le CD « Anticyclone ».
Bref, l’amateur du Raphaël, chanteur et compositeur, peut se jeter sur Retourner à la mer, il ne sera pas dépaysé par rapport aux micro-mondes évoqués dans les chansons. C’est dans la droite ligne !