Immonde !
de Élizabeth Holleville

critiqué par Blue Boy, le 28 février 2022
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Hommage au ciné fantastique US des années 80
Dans la petite ville vosgienne de Morterre, qui s'est enrichie grâce à la présence de la mine, on s’ennuie à mourir quand on est jeune. Confrontés à des événements insolites liés à la disparition d'un employé du site industriel, trois adolescents, Camille, Jonas et Nour, vont connaitre l’effroi en tentant d’en rechercher les causes, avant de découvrir que la vérité est bien plus effroyable que les films d’horreur dont ils se délectent.

Une des belles surprises de ce début d’année, et loin d’être immonde ! De plus, ce récit fantastique nous permet de découvrir Elizabeth Holleville, une jeune autrice dont c’est le deuxième album et qui nous donne ici toutes les raisons de croire en elle. Elle possède un univers à la fois très personnel mais aussi riche de nombreuses influences, à commencer par Charles Burns, Daniel Clowes ou Ludovic Debeurme pour ce qui est de la BD, mais aussi quelques figures du cinéma fantastique, John Carpenter et Steven Spielberg, avec quelques pincées de Lovecraft pour la référence littéraire.

Le dessin est propre, simple et sans prétention, d’une tournure un brin enfantine qui n’est pas sans charme, tant s’en faut. Le choix de deux tonalités dominantes, mauve et vert désaturés, fonctionne à merveille. Deux couleurs qui en s’assemblant dégagent une aura vénéneuse et inquiétante, renforçant l’ambiance anxiogène de l’histoire. Pour la scène finale de l’attaque des monstres, Holeville n’a pas hésité à foncer les cases, prouvant qu’elle a parfaitement compris le mécanisme de la peur popularisé par Ridley Scott avec « Alien » : moins on en voit, plus grand est l’effroi…

Elizabeth Holeville nous sert un scénario maîtrisé, en instaurant d’abord un climat insolite avec la scène d’introduction, critique discrète des réseaux sociaux où pour avoir un max de vues sur Instagram, des ados « déconnectés » n’hésitent pas à filmer grand-maman grimée en sorcière, pour monter progressivement en puissance jusqu’au final terrifiant reprenant les codes du « survival movie ». En résumé, on commence avec des bizarreries subliminales burnsiennes pour terminer avec thriller haletant digne de « The Thing » ou « Alien ».

Quelques thématiques contemporaines y sont abordées, mais de façon superficielle, sans que l’intellect ne prenne le pas sur l’émotionnel, puisqu’ici on prend avant tout plaisir à se faire peur, comme avec le meilleur cinéma horrifique des années 80 avant l’ère des franchises. Le message écologique avancé par l’éditeur reste trop simpliste et rebattu (une mine d’extraction de tomium( ?), un matériau destiné à alimenter les centrales nucléaires, dirigée par un vrai salaud qui se moque de la pollution aux alentours, laquelle semble la cause des événements inquiétants survenant dans la ville proche) pour en faire le sujet principal du livre. Mais l’autrice nous parle aussi d’identité sexuelle, thématique très en vogue s’il en est mais en simple toile de fond dans l’histoire, et se veut inclusive sans insister lourdement, en mettant en scène des personnages blacks, blancs beurs bien de chez nous.

Le théâtre du récit se situe à Morterre (un village qui n’existe pas), dans les Vosges (une région qui existe). Et le lecteur de ressentir de l’étonnement face à une histoire fantastique empruntant les codes du ciné U.S. tout en se déroulant dans des paysages bien français, à mille lieues du Texas, du Colorado, de la Floride ou encore du Maine, pour ne citer que la région chère à un certain Stephen King. Le point commun, c’est ce mode d’habitat désormais universel du monde occidentalisé où résident les protagonistes : le lotissement, et dans sa version U.S., l’« housing estate », lieu emblématique des films de Spielberg. D’ailleurs, et c’est dire à quel point la culture américaine a colonisé nos esprits, on a du mal à ôter de son esprit le fait que ce n’est pas en Amérique que ça se passe ! Cette transposition de l’Amérique anglo-saxonne à l’Europe recevrait fort probablement l’assentiment des deux auteurs Serge Lehman et Frederik Peeters, qui d’une certaine façon militent à travers leurs œuvres pour un retour en grâce des mythes européens, longtemps délaissés par la pop-culture au profit du modèle ricain.

Avec « Immonde ! », Elisabeth Holleville, dont c’est le second album, creuse avec bonheur la veine fantastique à la française, sachant associer plaisir régressif et intelligence, sans prétention aucune. Adoubée par Timothé Le Boucher qui conclut l’ouvrage avec un petit clin d’œil sur 5 pages, l’autrice s’impose indubitablement comme une autrice à suivre.