Rien pour elle
de Laura Mancini

critiqué par Missef, le 20 février 2022
( - 58 ans)


La note:  étoiles
Une héroïne du quotidien
Présentation de l'éditeur :
" Ce jour-là j'avais décidé que je ne baisserais jamais les yeux la première. "
Lire Rien pour elle, c'est comme regarder l'histoire défiler par la fenêtre.
Ce premier roman magnifique, poignant, très habilement construit, démontre un talent certain chez cette nouvelle voix, dans la veine d'une Elsa Morante ou d'une Elena Ferrante.
C'est l'histoire d'une femme qui traverse la vie en se battant comme une gladiatrice. Depuis les années de guerre et les bombardements qui s'abattent sur Rome, jusqu'aux mutations des années 1990, en passant par les années de plomb, Rome est le décor dans lequel évolue Tullia, une de ces invisibles héroïnes du quotidien, figure modeste et forte à la fois d'un sous-prolétariat urbain. Élevée par une mère mal aimante qui fait travailler ses enfants comme des esclaves dès leur plus jeune âge, Tullia prend un jour son destin en main en quittant ce milieu familial tyrannisé par la mère. Mais quel destin !
Amoureuse des mots, animée par une volonté farouche de survivre et de s'en sortir, Tullia endurera les épreuves d'une vie de misère et de labeur au milieu de luttes syndicales et de révolutions culturelles qui l'effleurent à peine. Le courage, la force, la dignité de Tullia en font un témoin curieux et passionné de la vie de la capitale à travers cinquante ans. Lire Rien pour elle, c'est comme regarder l'histoire défiler par la fenêtre : impossible de ne pas y voir un reflet trouble de nous-mêmes.


Mon avis :
L'histoire de Tullia commence en 1943 avec les bombardements sur Rome (la ville étant l'un des personnages à part entière du livre) et court jusque dans les années 1990. Dans ce roman, présenté sous une forme rappelant les entrées d'un journal intime (date et lieu), la protagoniste qui est aussi la narratrice est ballotée au gré des événements familiaux (mort du père, misère, irascibilité et maladie mentale de la mère, naissance de sa propre fille...) et contrainte de travailler très dur pour survivre et s'extirper d'un environnement toxique. Malgré cette forme, cependant, le lecteur n'entre dans son quotidien qu'à travers les scènes, fortes et souvent marquantes certes, d'une existence qui n'est relatée que par bribes et avec une sorte de recul que l'on aurait pu attendre d'un personnage extérieur et pas de celui qui les vit. Les événements sont relatés sans fioritures mais aussi sans la part d'affect qui m'a manqué dans certains passages pour entrer pleinement en empathie avec ce personnage par ailleurs très digne dans les épreuves et marquant toutefois.
Une autrice à suivre... 8 étoiles

Les éditions Agullo, désormais spécialisées dans la littérature européenne, nous présentent une nouvelle autrice italienne, dont elles publient avec « Rien pour Elle » le premier roman. Le personnage principal en est une femme et quelle femme ! Tullia naît dans une famille romaine modeste – la lectrice que je suis n’a pu s’empêcher de se la visualiser dans un film de Rossellini – mais plutôt heureuse, avant que tout ne vire au cauchemar, d’abord à cause de la guerre (le roman commence dans les années 1940) puis, surtout, avec la mort du père. Car la mère, Rosa, de cette fratrie de cinq est pour le moins instable : cruelle, incapable de témoigner de l’affection à ses rejetons. Sa seule préoccupation est de compter inlassablement, impitoyablement, les maigres sous que ses enfants lui rapportent chaque soir, au terme de journées harassantes à arpenter la ville afin de vendre qui de la petite bijouterie, qui du matériel pour les coiffeurs. Par chance, Tullia a pour elle un caractère bien trempé et parvient à quitter le nid familial pour aller gagner sa vie – toujours à la dure – de son côté.
Sa vie sera faite en grande partie d’emplois pénibles et auxquels elle ne trouve pas de sens, sans amis, entre de nombreuses brimades (sa mère, ses employeurs, ses collègues, les hommes et même ses frères) et quelques brefs épisodes où elle-même reconnaît le bonheur.
N’allez pas croire pour autant que Lara Mancini se complaît dans le misérabilisme. C’est tout le contraire. À l’instar de sa protagoniste, l’écriture est sèche, voire dure (peut-être même un peu trop). Et le parcours de cette femme à la fois ordinaire et extraordinaire force l’admiration. Une autrice à suivre.

Reginalda - lyon - 57 ans - 21 février 2022