Encres littorales
de Philippe Remy-Wilkin

critiqué par Kinbote, le 15 février 2022
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
D'un musée à l'autre du littoral belge
Un écrivain, Nathan, piste d’un musée à l’autre du littoral belge une jeune femme qu’il a rencontrée à la gare de Gand « où L’Agneau mystique de Van Eyck et un vague projet de roman policier [l’] avaient attiré. »

Dans un récit alternant les passages écrits à la troisième personne et ceux narrés à la première. on suit le parcours et la pensée erratiques de l’écrivain happé par une rencontre prodigieuse, qui mobilise toutes ses forces et secoue son imagination…

« C’est ELLE, cette fille-là, ELLE et aucune autre… […]

Au début, il y a l’éblouissement physique ! Qui a à voir avec l’intrinsèque ou avec l’expérience personnelle, une chaîne de correspondances ? ELLE, ainsi, me renvoie à une image ancienne, un choc électrique. »

En circonscrivant un lieu, le littoral belge, représentatif de l’histoire nationale, ce texte dense, riche de multiples références culturelles, fait de ce lieu singulier un condensé d’histoires, personnelle et publique. Au fil de ses déplacements pour retrouver la jeune femme, qui lui apparaît pour aussitôt disparaître, Nathan, plonge dans son passé propre comme dans celui de la Belgique pour, enfin, retourner à La Panne, la station balnéaire d’origine des deux antériorités, après un périple qui tient du vertige.

« La mer. dans le train qui me ramène à la Côte belge, et, qui sait ?, vers mon destin, j’assimile celle-ci à une mise en abyme de la Belgique. Ou une métaphore de son identité ? Une bande littorale très effilée de 70 kilomètres entre la France et la Hollande, le Plat pays, le vrai… »

Un fait d’histoire nous rappelle que c’est à La Panne que le premier roi des Belges a fait son entrée en Belgique, via Dunkerke où il avait débarqué en provenance d’Angleterre.

« La Panne, ancre littorale ? De la nef de notre belgité ? »

Soumis au chaud et au froid de ses aventures spatio-temporelles, la peau de Nathan est régulièrement prise de frissons, de picotements, signe d’une fièvre intérieure, voire d’un trouble physique ou mental, qui fait évidemment signe vers les sueurs froides hitchkockiennes, citées par ailleurs dans le texte.

À plus d’une confidence du narrateur, on comprend qu’il revit avec cette jeune femme fabuleuse, aussitôt retrouvée que perdue, une histoire ancienne, problématique, irrésolue et fondatrice, à l’écart d’une mère trop protectrice… La mer également omniprésente, sur le plan spatial, mais comme regardée de loin, tenue à distance respectueuse (Nathan n’est jamais mis en scène sur la plage, a fortiori dans la mer), semble faire écho à ses premières amours… En parcourant le littoral belge de long en large, c’est l’imaginaire maritime qui est favorisé via notamment les peintres et les écrivains flamands ou d’inspiration flamande qui en ont fait le moteur de leurs oeuvres (Permeke, Spilliaert, Rodenbach…).

Au terme de la quête de Nathan, on comprend que son récit originel avait besoin de se ressourcer là, à la Mer, pour pouvoir poursuivre son écoulement narratif…

« La vie est une parenthèse ouverte sur l’océan de la mort, perçoit-il, qui n’est jamais qu’une autre vie, plus large. Pour l’enchanter, songera-t-il un jour, il faut aux frêles esquifs humains une anse, à l’abri des récifs et des vents, une ancre et un récit où s’amarrer. »

Dans la collection toujours surprenante des Opuscules des Editions Lamiroy, Philippe Remy-Wilkin donne un récit qui joue habilement sur toutes les cordes de la narration en proposant plusieurs niveaux de lecture pour nous entraîner à sa suite au cœur d’un texte troublant qui explore les abysses de la psyché comme de la création artistique.