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de Jean-Louis Massot

critiqué par Débézed, le 6 février 2022
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Solitude bien occupée
Avant d’avoir lu une seule ligne de ce recueil, j’ai déjà été épaté par la qualité du livre support, un très bel objet littéraire, belle qualité du papier, de la mise en page, de la typographie et surtout les éblouissantes peintures de Ronan Barrot illustrant le texte et la couverture.

Jean-Louis Massot, je l’ai bien connu comme éditeur et un peu moins comme auteur, c’est un personnage important des lettres francophones de Belgique et même de France où il a vécu avant de s’installer à Bruxelles. Dans ce recueil, il étale toute la finesse littéraire qui lui a permis de détecter les fines plumes qui ont fait la renommée des éditions Les Carnets du dessert de lune pendant un quart de siècle au moins.

Dans le présent recueil, à mon sens, il évoque la solitude, non pas solitude qui ronge les hyperactifs et les impatients qui ne savent pas s’occuper et qui ont toujours besoin des autres pour exister ; pas plus que celle de celui qui s’ennuie à regarder le temps s’écouler trop lentement. Non, il évoque la solitude de ceux qui, ayant déjà vécu un certain temps, un temps certain pour quelques-uns, savent avec sagesse prendre du recul pour regarder le monde qui s’agite, se démène, souvent avec une grande puérilité. Ces gens qui savent regarder, écouter les bruits de la rue, d’un bistrot ou d’ailleurs encore, le mouvement et la musique de la vie.

« Cerné par l’agitation urbaine, il laisse lentement s’écouler son attente tandis que se diluent les glaçons dans les verres de menthe à l’eau que le serveur a posés sur la table et qu’il ne touche pas. Personne ne viendra. Il en a pris l’habitude ».

Cette solitude se combine souvent avec d’autres thèmes comme la course après les mots qui refusent de se précipiter sur la page blanche. «… il aurait tant aimé voyager en compagnie de mots fréquentables qui l’auraient aidé à terminer ce roman qui s’éloignait dans ce train qu’il venait une nouvelle fois de rater ». Ou, avec la pêche aux poissons au cours de laquelle «… il cherche à puiser des mots dans les pages d’un livre qu’il a emporté comme s’il savait depuis le début que les poissons et les mots ne sont pas toujours au rendez-vous ».

Il y a aussi ceux qui, atteints du mal de notre temps, s’agitent avec frénésie sur le clavier de leur téléphone pendant que « Lui, il reste assis du matin au soir devant les images de sa télévision ; il a coupé le son, ne sait pourquoi mais rigole ». Et, à la fin, il reste l’aïeul qui s’évade progressivement vers un autre monde, « Sa maladie n’est pas bien grave, juste que parfois il ne sait plus trop bien qui il est et pourquoi quelqu’un lui a stupidement acheté des tennis roses ».

J’ai beaucoup aimé la finesse de ces textes où se glisse une petite dose de malice, juste ce qu’il faut pour en relever le goût et la saveur. Jean-Louis le sait bien et il le prouve, quand on est seul, on n’est pas toujours aussi seul que certains le croient ! La solitude peut être précieuse comme un silence un jour de vacarme !

Un recueil qui conjugue à merveille l’élégance de la forme et du fond qui correspond si bien à Jean-Louis.