Alchimie poétique
de Albert Aoussine, Josette Neisius

critiqué par El Gabal, le 26 janvier 2022
(Strasbourg - 35 ans)


La note:  étoiles
Entre chute et élévation
Si le thème de la fuite inexorable du temps n’a cessé d’inspirer les poètes de tous les temps et de tout horizon, il prend, dans le poème de Josette Neisius « Je ne saurais », valeur de questionnement insoluble. Le passage, dont toute vie témoigne, ne s’accomplit qu’en vertu de l’oubli où ce sont « l’impalpable » et « l’inconstance » qui fatalement s’évanouissent. Tiraillée entre l’exigence de la légèreté « éthérée » et la pesanteur d’un « vide » solitaire, la poétesse demeure foncièrement « interrogative » face à l’énigme du vivre.

Si « l’ordre des choses s’impose » et si le défi imposé à la vie est de lutter sans cesse contre la « mort », la puissance du désir se heurte encore au silence de ces « livres » qui échouent à fournir la clef qui permettrait de réaliser ce vœu :

« Je voudrais être l’autre, l’espace d’un instant

Vivre cette insouciance, toucher ce néant

D’où l’émotionnel s’absente nonchalant »

Seuls demeurent le néant et « l’illusion d’un chant » où se défait la volonté même d’être et de faire.

Le poème « Parfum », en revanche, se donne à lire comme un hymne sensuel à toutes les senteurs qui ravissent le corps et l’âme. Il en va ainsi de « toutes les odeurs » que lui « apporte le vent » dans sa course généreuse. Ces odeurs guident la poétesse dans sa flânerie urbaine, et lui livrent la substance même de sa rêverie poétique :

« Qui est cette ombre

Dont je ne parviens

À quitter le sillage?

Qui est cet inconnu

Qu’une même senteur

À moi ressemble? »

Ces effluves dont elle se « grise » et « s’enivre » conduisent la poétesse dans une sorte d’extase sensorielle et de méditation sur la valeur d’éternité de ces « beautés éphémères ». Tout conduit ainsi à stimuler cette « gourmandise » qui n’est un péché que parce que l’on se refuse à s’y abandonner poétiquement.

« Brouillard », enfin, trace un chemin vers la conquête de la véritable féminité. Entre la « foi d’éternité » et la « sainte liberté » subsiste un entre-deux où le poème seul prend corps, et où le « passé » s’extirpe du « gouffre » pour regagner le séjour de cette lumière dont il se détourna au moment de sa chute du « firmament ».

Cette quête s’accompagne d’un désir brûlant de « vérité » mais aussi d’amour qui est le seul et véritable « rêve providentiel ». Et si l’autre se dérobe, il n’en reste pas moins que « s’entrouvre lointain, le sentier du bonheur » où « craintive » encore, la poétesse ne s’avance qu’avec prudence : « Je chemine avec lenteur ». Lenteur qui est aussi la bonne et juste mesure à trouver pour jouir de cette nouvelle condition.

Ainsi, l’écriture de Josette Neisius se donne comme un renouvellement de ces motifs poétiques qui ont traversé l’histoire de la poésie sans jamais en pâtir. Si notre condition est bien celle du passage mais aussi épreuve de la perte, il n’en reste pas moins que la célébration de l’extase sensorielle et la quête d’une féminité libre et aimante, forment les jalons d’une expérience poétique où le salut se conquiert dans les profondeurs d’un « gouffre gourmand » et proprement extatique.

Julien Miavril