Peaux mortes
de Abia Dasein

critiqué par El Gabal, le 10 janvier 2022
(Strasbourg - 36 ans)


La note:  étoiles
Mort et renaissance d'une poétesse
Je tiens tout d'abord à remercier Abia pour m'avoir confié son œuvre. « Peaux mortes » est un recueil de quarante poèmes comme autant de pétales d'une même rose striée d'épines de feu. A travers ce chant de deuil qui déplore la perte de l'être aimé, Abia ouvre un espace où ce sont le manque et la douleur qui enfantent les poèmes. Toute la première partie du recueil est une célébration de la présence vivante de l'aimé qui se manifeste à travers des « décharges électriques ». Ainsi, dans le poème du même nom, les corps s'épousent et se confondent, en surface comme en profondeur :

Aspiration
Transfusion
De nos peaux
Sur le point
de se frôler

La poétesse entre alors dans le temps de la sacralité et forme de le vœu de vivre un amour immortel :

Je clos
Mes paupières
Pour que jamais
Ne s'éteignent
Ni les flambeaux
De nos prières
Ni les lambeaux
De nos peaux

Mais très vite, l'aimé se dérobe et la poétesse se retrouve placée dans la situation de celle qui espère survivre à travers sa mémoire. Être dans un « recoin du cœur, l'une de ses braises enflammées. » Mais comme sous l'effet d'une fatalité du sort, les braises se changent en cendres et il ne reste plus, dès lors, qu'à commémorer le souvenir d'un amour perdu dont on devine qu'il fut le lieu d'un embrasement total :

Te souviens-tu
Comme nous brûlions
Chair contre chair
Eau contre sang

Cet amour, ou tout au moins ce qu'il en reste, survit à travers le règne végétal. Ainsi de ces « tournesols », fleurs solaires et sacrées, qui en perpétuent le chant « dans un monde où nous n'avons jamais existé. » Ainsi également de cet « arbre seul et nu », « haut le cœur », qui symbolise la solitude et l'absence dans lesquelles la poétesse se retrouve alors plongée.

Éros se rappelle alors au souvenir de la poétesse. Sommet de la passion, l'érotisme comme célébration de l'amour et des corps survit à travers l'écriture qui semble le réactiver, bien que la tentation soit grande de céder au renoncement, voire à la haine. Une première fois dans « Derrière moi » :

Je laisse là
Pour toi
Mon cœur
Et tous
Mes poèmes

Puis dans le poème qui s'appelle « Il était une fois » :

Je noie
Ma haine de toi
Dans les remous amers
D'un verre de rhum
Qui rend fou

La poétesse nous confie à quel point elle s'est sentie dans un état de délabrement à la fois corporel et ontologique. Dans le poème qui s'appelle « Vieille carcasse », elle se sent littéralement mourir et pourrir au point d'invoquer le recours à une ultime caresse qui viendrait seule la « ressusciter ». Dans « Farouches météores », elle s'interroge sur ce qu'il peut rester de cet amour à la fois total et déchirant. Dans « Psalmodies cardiaques », elle prie pour que sa supplique désespérée parvienne jusqu'aux oreilles de l'être aimé et ce, jusque « dans l'écho de ses pulsations ».

Le souvenir de l'aimé ainsi perdure sans que la poétesse ne puisse se résoudre à en faire le deuil car « il y a des naufrages dont on ne revient jamais . » Au point qu'en définitive, elle ne peut que « faire le deuil d'elle même ». Comme morte à la vie, poupée de « chair et de sang, de sciure et de cendres », elle lance alors son ultime « cri tragique ». Et dans une quête qui semble vouée à l'échec, elle cherche son aimé en s'abandonnant à une sexualité sauvage et débridée qui ne le satisfait pas, mais qui au contraire aggrave son mal :

Mon âme est morte
Reste que le corps
Pour croire encore
Que j'ai envie

Alors je baise
Entre les couloirs
Et entre les portes

(,,,)

Mais aucun autre
Ne m'apaise
Alors je jouis
De cette douleur
Délétère
Qui me garde en vie

C'est ce poème qui vient clore un recueil qui s'offre tout du long comme un immense chant de deuil impossible à faire. On comprend que la poétesse est sortie à la fois transfigurée et meurtrie de cet amour fou et total. La douleur y est un ferment, et l’expérience de l'absence vient innerver une écriture poétique à la fois intense et vive. Preuve, s'il en est, que nos blessures demeurent un terreau extrêmement fertile. Preuve également qu'à travers la poésie, nos amours ne meurent jamais...

Julien Miavril