je cours vite, je ne sais rien
de Franz Griers

critiqué par Débézed, le 7 janvier 2022
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Petit-fils spirituel de Blondin et Cie
« Ce livre est une collection de nouvelles courtes, voire très courtes » annonce l’éditeur, je préciserais même que ce recueil comporte, dans la plupart des cas, une nouvelle par page, certaines dépassent la longueur de la page et quelques-unes seulement ne l’atteignent pas.

Dans ce recueil, « Des personnages inadaptés te racontent leur rapport tourmenté au monde », des personnages ou un personnage ? Je dirais des personnages qui pourraient se fondre en un seul qui s’adresse au lecteur sous la couverture d’un « je » qui serait un quidam quelconque, un type tout ce qu’il y a de plus banal, un type qui bosse juste pour gagner sa croûte, qui n’a ni ambition, ni besoins surdimensionnés. Il raconte les avatars de son existence quotidienne qu’il vit dans les transports en commun, sur la voie publique, au boulot, partout où un gars lambda s’en va gagner sa croûte mais aussi dans les bars qu’il fréquente assidûment et dans d’autres lieux où il se rend au hasard de ses déambulations et occupations dans Paris qu’il connait aussi bien que Modiano, et parfois ailleurs. « J’étais un personnage simple, avec un objectif simple… ».

Au bout d’un certain nombre de pages, spontanément, j’ai pensé à Blondin, à Mérindol, à tous ces auteurs plus ou moins pochtrons qui ont hanté les rues et les rades de la capitale. Je me suis demandé si Franz Griers n’était pas un peu leur petit-fils spirituel. Evidemment, je ne voudrais pas l’accuser de pochtronner comme eux mais il a, comme eux, cet art de la déambulation, cette aisance devant le comptoir, cette agilité dans la plume, cet art de la narration vivante, alerte, directe, colorée. Bien sûr les temps ont changé, il faut accepter cette comparaison « mutatis mutandis » comme ont dit chez les juristes.

Franz, lui, dans un ton à la fois hyper réaliste et surréaliste, tendre, triste, désolant et burlesque et même fantastique parfois, raconte les déboires de ce quidam avec les femmes, sa navigation de femmes en femmes, ses heurts avec les décrets de la société et de ses représentations plus ou moins officielles, ses déboires avec ses concitoyens, le désespoir qu’il exprime : « Je n’ai pas trouvé ma place dans ce monde, mais je la cherche, chaque jour. Puis cette place, je finis par l’inventer. Ce sera mon métier puisque les mammifères comme nous doivent en avoir un ».

Le fait de présenter une nouvelle à chaque page densifie notoirement le texte ce qui offre de belles heures de lecture surtout à ceux qui comme cette jeune fille mise en scène par l’auteur pense que « Le monde tel que vous l’avez ordonné m’a tout pris, mes joies et mes espérances… ». Heureusement que les textes de Franz, eux, nous redonnent le rire et la bonne humeur.