Aussi lourd que le vent
de Serge Brussolo

critiqué par Eric Eliès, le 4 janvier 2022
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Trois visions de cauchemar, à la fois horribles et sublimes...
Serge Brussolo est un écrivain à l’imagination extraordinairement prolifique, voire délirante, et doté d’une rapidité d’écriture incroyable, ce qui lui a permis de composer une œuvre presque sans équivalent par sa diversité …et sa quantité ! Nul doute que, s’il était né un siècle plus tôt, il serait devenu un de ces grands écrivains feuilletonistes qui ont marqué le 19ème siècle et la littérature française. Mais on peut aussi se dire que, à trop écrire, Brussolo a parfois survolé ses textes et gâché son talent. Ainsi, ce recueil surprenant, composée de trois nouvelles indépendantes qui semblent néanmoins se faire vaguement écho (notamment parce que les protagonistes ont des noms similaires), laisse une impression étrange, et finalement mitigée, de « chef d’œuvre » manqué… Les nouvelles, qui font environ 60 pages chacune, sont toutes fondées sur une vision hallucinée, mélange de beauté et de cauchemar, et l’histoire, parfois inutilement alambiquée avec des couples qui se déchirent dans une ambiance d’apocalypse, n’est que le support narratif permettant de les justifier et de les déployer. Les incohérences qui en découlent peuvent être irritantes mais elles restent néanmoins secondaires, comme dans un rêve qui progresserait de manière logiquement irrationnelle et ferait naître des images mentales d’une puissance sidérante. Brussolo, un peu à l’instar de JG Ballard ou de Clive Barker, semble fasciné par les monstruosités, inventant des lieux paradoxaux qui ne devraient pas exister et décrivant des êtres qui basculent au-delà des frontières de l’humanité…

La première nouvelle (au titre joliment poétique : « trajets et itinéraires de l’oubli ») décrit les errances d’un homme et d’une femme chargés de faire l’inventaire d’un musée infini, sorte de labyrinthe abritant en son sein des œuvres à la beauté sublime (Brussolo démontre là une remarquable inventivité d’artiste conceptuel !) et des salles redoutables comme des pièges, recélant des abysses d’une noirceur insondable… La scène finale (que je ne décrirai pas) est absolument stupéfiante, dans son mélange d’onirisme et d’horreur absolue.

La seconde nouvelle (sobrement intitulée « visite guidée ») me semble la moins réussie des trois. Elle met en scène un médecin-ethnologue chargé d'assister et d’étudier une population de mutants, lointains ancêtres d’êtres rescapés d’une guerre atomique (à peine évoquée) et affligés de difformités physiques ou psychologiques invraisemblables mais décrites avec une grande minutie, démontrant à nouveau l’incroyable foisonnement de l’imagination de l’auteur ! Les mutants vivent parqués dans une réserve, que viennent visiter des touristes dont le voyeurisme dégoûte le médecin qui, dans le même temps, voit son épouse se délabrer et rejoindre peu à peu la cohorte des mutants dont il s’efforce vainement de comprendre les rituels…

La dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil, est pour moi la plus réussie car elle est celle qui se concentre le mieux sur son sujet. Sans se perdre en digressions narratives pour créer un pseudo-suspense, Brussolo parvient à installer un puissant sentiment d’oppression pour décrire, en brossant deux portraits d’artistes maudits et reclus dans un lieu à l'abandon, la naissance d’un art nouveau qui permet d’engendrer des formes à partir de mots soigneusement prononcés (qui ont d’autant plus de force qu’ils sont blasphématoires), et la manière dont des êtres sans scrupule vont s’accaparer cet art et le dévoyer.