Anne Ancelin Schützenberger: Psychodrame d'une vie
de Colette Esmenjaud Glasman

critiqué par Débézed, le 21 décembre 2021
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Un siècle consacré à la psychologie
Rédigée par l’une de ses élèves, ce texte est en fait une très riche biographie, de la grande psychologue qui a introduit en Europe les théories de Jacob Levy Moreno le créateur du psychodrame comme outil de la psychologie sociale. Une biographie d’autant plus riche qu’Anne Ancelin Schützenberger a vécu jusqu’à presque cent ans et que, jusques à sa mort, elle a eu une vie particulièrement riche, laborieuse et mouvementée.

Fille d’une riche famille de l’intelligentzia juive russe peu pratiquante évoluant dans la classe sociale supérieure, elle est baptisée Anna selon les désirs de son père mais sa mère l’appelle toujours Assia. Elle devient Anne quand elle rejoint la France à l’âge de six ans. Elle se prénomme Elodie pour échapper aux Allemands et leur résister pendant la guerre. Elle est née Eynoch, du nom de son père, elle est devenue Schützenberger en épousant un protestant d’origine autrichienne et, lors de sa naturalisation en 1946, elle choisit définitivement de se nommer Ancelin Schützenberger en associant son nom de résistante à celui de son mari qu’elle a conservé malgré leur rapide divorce.

Son chemin de rupture commence dès son jeune âge, les Bolchévik ayant provoqué une dégradation notoire de leur condition de vie et de leur statut social et finalement même mis en danger leur existence. Sa mère choisit alors de quitter la Russie par des chemins détournés sans son mari mais avec ses deux petites filles, Nina était la cadette d’Assia/Anna. Première rupture avec son pays, son milieu social, sa culture, sa gastronomie, … et son père qui ne rejoint Paris que plus tard. Rupture à l’école où elle est stigmatisée et persécutée en tant qu’étrangère, rupture avec sa mère avec laquelle elle est toujours en conflit. Mais la rupture devient plus cruelle avec la perte de la petite sœur adorée. Plus tard, la famille échappe de justesse à la rafle des Juifs et prend le nom d’Ancelin. Le père, séparé de la mère, reste à Paris et est déporté, il meurt avant d’arriver à Auschwitz. Nouvelle vague de ruptures quand les Allemands les pourchassent et incendient leur retraite en Lozère. Toute sa vie ne sera que rupture avec ses amis, ses collègues, sa famille, son caractère fort, très fort, souvent trop fort, son intransigeance, sa passion, l’emportent souvent sur la raison, l’amour et l’affection.

Sa famille ne souhaitant pas qu’elle apprenne la médecine, elle fait du droit mais doit s’enfuir avec sa mère en Lozère où elle participe activement à la résistance. Après la guerre, elle obtient une licence de psychologie et donne naissance à sa fille Hélène qu’elle emmène avec elle aux Etats-Unis où elle intègre les cours de Jacob Levy Moreno le fondateur du psychodrame en psychologie. Elle rentre en France où elle s’attache à propager les thèses de Moreno dans les divers emplois qu’elle occupe, dans les congrès auxquels elle participe, dans les groupes qu’elle anime. Elle devient la référence en la matière pour l’ensemble de l’Europe. Elle est partout, elle se démène avec frénésie, on cherche sa compagnie, son enseignement, son expérience mais elle n’a pas d’emploi fixe.

Elle finit tout de même par terminer sa thèse ce qui lui permet de postuler un poste de professeur à la Faculté de Nice qu’elle obtient de justesse. Son intransigeance et son tempérament tempétueux lui valent de nombreuses inimitiés qui s’ajoutent au fait qu’elle ne soit pas française d’’origine. Mais sa vie est toujours aussi tumultueuse, elle est de toutes les causes qui concernent son domaine, elle mène de nombreux combats personnels ou collectifs. Elle paie souvent de sa personne et même de son argent qu’elle n’a pas toujours.

Elle n’est pas une bonne gestionnaire, elle n’est pas organisée, elle se consacre essentiellement au développement de la psychologie de groupe, la psychologie sociale et surtout le psychodrame. Elle veut toujours être au sommet, diriger, gouverner, décider. Elle ne sait pas toujours bien s’entourer même si elle a de nombreux amis très fidèles et souvent de bon secours. C’est une femme hyper active, toujours en mauvaise santé, une mère de famille peu attentionnée mais le temps n’a aucune prise sur elle. Quand son corps commence à faiblir, quand sa mobilité se réduit, quand sa vue baisse sérieusement, elle n’abandonne jamais, elle veut toujours être devant. Jusqu’à sa mort, transportée sur un fauteuil, elle est toujours partante pour assister à une manifestation qu’elle juge importante, outre-Atlantique ou ailleurs encore.

Anne c’est une boule d’énergie, une détermination à toute épreuve, un caractère bien trempé souvent impulsif et même colérique, une volonté d’acier, une passion débordante pour son métier et sa spécialité. Mère peu attentive à sa fille elle est une grand-mère affectueuse mais souvent trop exigeante. Beaucoup de ses collègues l’admirent et l’adorent mais elle sait aussi très bien se faire de nombreux ennemis qui ont souvent entravé ses entreprises. Anne c’est, malgré une santé souvent défaillante, elle ne se soigne pas ou mal, un siècle de d’action, une femme en perpétuel mouvement, toujours en avance sur les autres, la véritable fondatrice, en Europe, du psychodrame en psychologie. Elle fait partie de ceux qui ont contribué à la naissance de la psychologie de groupe comme une science sociale, comme une thérapie, comme une nouvelle matière universitaire. Elle était surtout une femme libre de ses choix de vie, d’enseignement, d’amitié et d’amour, d’engagement et de spiritualité. Une grande figure du féminisme à travers ses actes plus qu’à travers un militantisme tapageur.

Avec cet ouvrage, Colette Esmenjaud Glasman dresse une biographie très fine, très complète, très riche de celle qui fut son modèle, son inspiratrice, sa référence. Elle a suivi son enseignement, elle a fait partie de ses proches, on sent dans ce texte combien elle l’admire, combien elle l’affectionne même si elle ne cache aucun des défauts de son professeur, de son modèle, de son amie. Cette biographie deviendra certainement un ouvrage de référence dans toutes les universités et partout où l’on enseigne la psychologie.