Comme un tango
de Lorenzo Cecchi

critiqué par Kinbote, le 15 décembre 2021
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Le roman d'une vie
Dans "Comme un tango", un homme se raconte, de 1947 à 2019. Cet homme, c’est Lorenzo CECCHI et c’est son dixième livre (depuis 2012). Il appelle ces souvenirs personnels faux témoignages, attribués à son narrateur, Vincent, histoire de laisser le champ libre au travail de la mémoire. Celui qui fournit des faux témoignages a-t-il la volonté de brouiller les pistes, de laisser entendre que la vérité est autre part, que des zones sombres subsistent ou, même, qu’il existerait un point aveugle à partir duquel tout se fonderait, s’éclairerait ? Peu importe, le faux témoin est un conteur d’histoires à l’inventivité narrative éprouvée.

C’est, dans ces quelque 280 pages, toute une existence qui défile par tranches, plus ou moins épaisses, poignantes ou savoureuses, en tout cas toujours consistantes, car l’auteur sait rendre vivantes les scènes rapportées, densément et sans pathos.

La première partie est placée sous le signe du padre, Osvaldo, ayant dû quitter son Italie natale pour venir travailler dans les derniers charbonnages du Pays noir où il fondera une famille. À sa retraite, à l’âge de 36 ans, le père se sentant toujours gaillard reprend durant sept années une fermette à Marcinelle, à la périphérie de Charleroi, et entraîne sa famille aux activités de la ferme, ce qui nous vaut les passages les plus drôles du livre. L’auteur y parle aussi avec tendresse d’un oncle mélomane resté en Italie, différent, un peu moqué, admirateur de Leopardi et poète à ses heures…

Dans la seconde partie, le narrateur rend compte de moments plus spécifiques, de rencontres personnelles importantes à divers titres, des hauts lieux de culture d’une ville principalement, Charleroi, de sa passion aussi pour la peinture expressionniste à travers, notamment, l’histoire étonnante (qui l’a mis aux prises avec un critique d’art et prof de philo à la moralité douteuse) de l’acquisition de l’œuvre figurant en couverture du livre, Sophia d’André Aubry, ce qui fournit d’ailleurs son titre à la seconde partie de l’ouvrage.

Cecchi dresse le portrait d’une vie d’une famille ayant dû trouver ses marques, batailler dur, pour permettre aux descendants de vivre sur une terre qui ne leur est plus hostile, avec des perspectives d’avenir. On verse du cocasse au tragique en passant par toutes les formes d’émotion et ce, par la force et l’intensité de la narration qui vont puiser à la racine de l’homme dans ses rapports aux autres, proches, amis, relations de travail. Cette densité, cette attention à autrui, comme déjà dit, font penser à John Fante.

C’est, de la sorte, tous les types et tous les milieux humains qui sont croqués, portraiturés, fouillés même. Peu d’états d’âme du narrateur mais des émotions, des sentiments nés des actions auxquelles il se trouve mêlé ou qu’il initie, animé par une force vitale qu’il tire de son enfance et de son milieu d’origine.

C’est le roman d’une vie, composé de plusieurs mouvements, dans des tonalités diverses. Et tout cela sur quatre temps, dans un tempo proche du battement du cœur humain ; comme dans un tango, cette danse contrastée, tour à tour allègre et funèbre, langoureuse et légère, triste et belle ; haletante, certainement.