Somnambule du jour - Poèmes choisis
de Anise Koltz

critiqué par Septularisen, le 5 décembre 2021
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
«Et que mes veines deviennent plus foncées par la plus secrète jouissance qui existait déjà en moi avant de naître».
«Nous marchons tous
sur la même route
mais personne ne connaît
le chemin de l’autre»

En 2016 pour les 50 ans de la collection «Poésie», les éditions Gallimard eurent la très bonne idée de demander à la poétesse luxembourgeoise Anise KOLTZ (*1928), de faire son anthologie personnelle et de nous proposer un choix de poèmes à partir de son œuvre, couvrant plus de 60 ans d’écriture.

Que retrouve-t-on dans ce livre? Et bien on y entre progressivement dans l’univers très particulier de la poétesse luxembourgeoise. Il faut dire que son écriture caractérisée par des poèmes très courts, - presque des haïkus -, est des plus surprenants. Si c’est une poésie simple et facile à lire, c’est une poésie beaucoup plus profonde et beaucoup plus recherchée qu’il n’y paraît au premier abord. Il ne faut pas hésiter à chercher le sens exact de ce que la poétesse essaie de nous faire passer.

«Tout poème est à double sens
Celui qui lit – est lu lui-même
par le poème»

On retrouve aussi les thèmes classiques chers à Mme. KOLTZ, éternelle indignée par la nature de spectateur indifférent de l’homme envers la souffrance des autres êtres vivants…

«Je suis juive avec eux
Leurs souffrances
s’inscrivent dans mon sang
et coagulent
Sur le bord de la fenêtre
leurs cendres se posent
aujourd’hui encore
Chaque nuit j’étouffe sous les tonnes
de leurs cheveux rasés»

Et aussi:

«Je suis palestinienne avec eux
Leur douleur
s’est plantée dans ma poitrine
Dans mes artères
s’accumulent leurs pierres
autre mur
de lamentations»

Indigné par les hommes pour leur violence, leur convoitise, leur hypocrisie…

«La guerre a éclaté
la télévision
nous livre à domicile
les blessés et les morts du jour
farcis de fromage
et de pâtes
Parfois quelqu’un sort
de table pour cracher
loin de l’écran
des arrêtes inexistantes»

Indignée surtout par un Dieu qui pour elle est mort, et qu’elle accuse d’avoir abandonné l’homme à son sort :

«Dieu a sorti l’homme
de terre
pour pouvoir lui parler
Lorsque l’homme fut de taille
à lui répondre
Il l’a recouvert
de terre»

Indignée par les conventions, le silence, la fausseté, les interdits…

«Même si j’habite un pays
froid et sans lumière
où j’ai grandi parmi fraudeurs et
assassins
Je vis sur les berges du Nil
depuis des millénaires
pétrifiée par le soleil»

Mme. KOLTZ ne nous cache rien, p. ex. de la difficulté d’écrire devant la page blanche :

«Chaque poème
est une descente aux enfers
Une chute dans l’inconnu
Une angoisse
de ne pas savoir
si le retour sera possible»

De la vie et de son corollaire la mort:

«La distance entre vie
et mort
reste constante
Quelle est la différence
entre zéro
et l’infini»

De son amour pour la nature :

«Le vent avait changé de rythme
il avait pris le goût de la nuit
Au loin j’entendais l’océan
parler dans ses rêves
Par ma fenêtre ouverte
entrait l’infini»

Et de l’amour, y compris charnel:

«J’aime te sentir
sur moi
comme un pont écroulé
ma rivière polira tes pierres»

Mais surtout, surtout c’est beau, mais beau, avec des envolées lyriques comme on voudrait en lire plus souvent :

«Lorsque mon amour est né
je l’ai lavé
de ma main droite
Lorsque mon amour est mort
je l’ai lavé
de ma main gauche
Sans futur
je subsiste
les deux mains coupées»

Que dire de plus, quand on se retrouve à faire une récension de la poésie de celle qui représente un véritable «monument» littéraire dans mon pays? Sans doute que l’on se sent très petit face a la plus grande voix de la poésie luxembourgeoise contemporaine! Je ne peux dès lors que vous conseiller ce livre qui est sans aucun doute «le» recueil de poèmes d’Anise KOLTZ, idéal pour partir à la découverte de son œuvre, puisque composé par la poétesse elle-même… Vite, très vite, avant que cette merveilleuse voix ne s’éteigne définitivement …

P.S. : Rappelons que Mme. Anise KOLTZ est membre de l'Académie Mallarmé et de l'Institut Grand-Ducal des Arts et des Lettres.

Elle a été la lauréate du:
Prix du Gouvernement luxembourgeois, 1962
Prix Blaise Cendrars, Suisse, 1992
Prix Jean-Malrieu, 1992
International Prize of the best poem on Struga poetry evenig, Macédoine,1994
Grand Prix de littérature française hors de France, Prix Nessim Habif
(décerné par L’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique), 1994
Prix National de Littérature-Prix Batty Weber
(le plus prestigieux des prix littéraires luxembourgeois), 1996
Prix Guillaume Apollinaire, Paris, 1998
Prix de la Fondation Servais pour la littérature luxembourgeoise, 2008
Prix de littérature francophone Jean Arp pour l'ensemble de son œuvre, 2008
Prix Théophile Gauthier, Médaille de bronze (Remis par l’Académie française), 2011
Prix des Découvreurs, 2012
Prix de la Renaissance française, 2012
Le Prix Goncourt de la poésie Robert Sabatier, 2018

«Somnambule du jour» (2016) contient des poèmes extraits des volumes suivants :
«Le cirque du soleil» (1966)
«S’adonner au silence» (1983)
«Souffles sculptés» (1988)
«L’autre temps» (1991)
«Chant de refus» (1993)
«Le mur du son» (1997)
«Le paradis brûle» (1998)
«La terre se tait» (1999)
«Le cri de l’épervier» (2000) ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/46869
«Le porteur d’ombre» (2001)
«L’avaleur de feu» (2003)
«Béni sois le serpent» (2004)
«L’ailleurs les mots» (2007)
«La muraille de l’alphabet» (2010)
«Je renaîtrai» (2011), ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/25821
« Soleil chauves» (2012)
«Galaxies intérieures» (2013)
«Un monde de pierres» (2015)