Les aventures de Ruben Jablonski
de Edgar Hilsenrath

critiqué par Septularisen, le 4 décembre 2021
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
EDGAR HILSENRATH, AUTOBIOGRAPHIE (A PEINE…) DÉGUISÉE!
Au début de l’histoire, nous sommes en 1938. La guerre à venir gronde déjà, mais de cela Ruben Jablonski, n’en a cure! Et pour cause, c’est un jeune juif allemand âgé de 12 ans, qui vit avec sa famille à Halle-sur-Saale (aujourd’hui en Saxe-Anhalt) en Allemagne. C’est un garçon espiègle, rêveur, qui comme tous les jeunes de son âge adore rire et s’amuser.

Pensant les protéger de la catastrophe imminente qu’il pressent, son père l’envoie avec sa mère et son jeune frère, chez ses grands-parents maternels à Siret en Bucovine (aujourd’hui en Roumanie). Il compte quant à lui, vendre leurs derniers biens, et puis émigrer vers la France et ensuite vers les États-Unis. Malheureusement pour Ruben, la guerre le rattrape dès 1941, quand l’armée roumaine déporte tous les juifs de Bucovine. Ruben et sa famille se retrouvent dans le ghetto de Moguilev-Podolski en Ukraine. Ils survivent tous ensemble par miracle, - et avec beaucoup de chance et de débrouillardise, il faut le dire -, jusqu’à la libération du ghetto par les troupes russes, en 1944.

Alors que sa mère et son frère décident d’émigrer vers la France, pour y retrouver son père, qui s'étant retrouvé piégé par la guerre en France, et qui a lui aussi survécu en sa cachant à Lyon, Ruben, âgé maintenant de 18 ans, décide quant à lui de se rendre en Palestine (à l’époque sous protectorat anglais), la terre promise du peuple juif. Mais, au fond de lui-même il a un autre rêve qui ne le quitte jamais… Devenir écrivain!..

On peut le dire sans dévoiler de secrets, Ruben Jablonski dans ce livre, n’est rien d’autre que l’alter ego d’Edgar HILSENRATH (1926 – 2018) lui même. On reconnaît sans peine, l’écrivain se «cachant» derrière le personnage de roman. C’est d’ailleurs très explicite à la fin du livre, mais je ne vous en raconterai pas plus, afin de ne pas vous divulgâcher l’histoire. Il s’agit d’ailleurs certainement ici de son livre autobiographique le moins romancé, et le plus révélateur. Disons aussi que ce livre entre dans la série des livres «tragi-comiques» de l’écrivain. De fait il est le prélude au livre «Fuck America», (1) puisque son histoire précède celle de ce livre. Mais encore une fois, ne m’en demandez pas plus, sous peine de vous gâcher votre future lecture.

C’est aussi un récit initiatique, très réaliste, d’une écriture facile à aborder et à lire. Edgar HILSENRATH y est très direct et très franc, il ne nous cache p. ex. rien des souffrances endurées dans le ghetto. Mais le tout est toujours décrit avec une certaine «distanciation» - toute relative toutefois -, de l’objectivité et beaucoup d’humour très cynique, et très noir. On rit d'ailleurs souvent jaune en lisant ce livre, tellement l'humour est crissant. C’est sans pathos, sans accusations, sans désir de vengeance, toujours avec beaucoup de légèreté – très apparente -, avec des dialogues incisifs et parfois même des descriptions très crues, quand l’auteur décrit p. ex. les relations sexuelles qu’il a avec ses nombreuses conquêtes féminines… Je pense que comme tous les livres de l'écrivain allemand, celui-ci est très clivant, il y en a qui aimeront à la folie (et devinez qui en fait partie?..), il y en a qui détesteront au plus haut point!..

Je fini ébahi, sonné, sous le charme, émerveillé par la justesse de ton et d’écriture de l’auteur. Je n’ai rien à ajouter de plus, si ce n’est vous recommander ce livre (comme tous ceux de cet auteur, d’ailleurs!), et si je ne devais avoir qu’un seul regret... C'est qu’Edgar HILSENRATH ne soit pas plus connu, reconnu et plus lu! Car vraiment je vous l’assure, c’est un écrivain qui vaut la peine d’être lu!

(1) : Cf ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/20050