Journal amoureux
de Benoîte Groult, Paul Guimard

critiqué par Marvic, le 18 novembre 2021
(Normandie - 65 ans)


La note:  étoiles
A peine une ride
Formidable initiative de la part de Blandine de Caunes et de sa sœur Lison, d’avoir publié ce journal à quatre mains écrit cette fois, par Benoîte et son mari Paul Guimard.
Tous deux écrivains, journalistes, chacun écrit quelques lignes, à l’initiative de Paul pour encourager et donner confiance à sa compagne. Ce qui n’empêche pas Paul d’être moins à l’aise dans cet échange que Benoîte.
Ils commencent à écrire chacun de leur côté, pour ensuite choisir de lire leurs lignes à haute voix. Puis ils lisent régulièrement les pages de leur conjoint, permettant ainsi des échanges. Rien n’est fixé, nulle contrainte de dates, de nombres de pages ou de sujets.

Et c’est un vrai plaisir de lecture.
Que ce soit leurs notes de lectures d’auteurs comme Camus, Rostand, Gide et tant d’autres, ou des commentaires vigoureux sur les critiques "où s’expriment en un sabir douteux, toute la méchanceté, la sottise et l’ignorance profonde du raté congénital". Benoîte jugeant la lecture de certains romans (comme les romans policiers par exemple) dégradante.

Un engagement tout aussi radical quand elle parle de l’art.
"En y réfléchissant mieux, je m’aperçois que c’est contre l’art moderne que je vitupère et non contre l’art tout court. Contre la cohorte des critiques sacro-saints, les expositions de snobs, le respect ridicule qu’on a pour l’art. Autrefois l’art était dans la vie et non dans les musées."
On a peine à croire que ces phrases ont été écrites en 1951 !

Et leurs vies personnelles. Leur rencontre, leur amour, leurs infidélités, leurs scènes de ménage par journal interposé, avec une mauvaise foi mutuelle.
Des confidences anecdotes comme Paul, malade qui aime se faire chouchouter par sa femme transformée en infirmière "Et que le psychanalyste aille se faire foutre."
Des réflexions pertinentes sur le couple et les enfants (ce sont les enfants de Benoîte qui vivent avec eux)
"Le problème du couple est insoluble.
Le problème de l’éducation des enfants est terrifiant.
Le problème des enfants par rapport au divorce est dramatique."

Sans oublier l’humour, dans des scènes savoureuses qui se déroulent le plus souvent dans leur maison secondaire achetée à Valmondois, village de l’Oise sans électricité ni eau courante (mais des "vatères" construits par Paul !)

Et l’on retrouve même dans ces séjours à la campagne, l’énergie, l’engagement de cette femme incroyable, telle qu’on la déjà lue, féministe, engagée, entière, avant-gardiste dans de nombreux domaines ; elle est indépendante financièrement par son travail, elle conduit la voiture du couple…
"Avec le pourcentage de femmes qui sont fières d’être de "vraies femmes" , c’est-à-dire des moitiés d’être humain, et la majorité des hommes qui ont tout avantage à nous voir rester "de vraies femmes", sortirons-nous jamais de l’ornière millénaire où nous végétons ?"

J’ai découvert avec plaisir la plume de Paul, ses poèmes, ses "pluie de notes. Notes de pluie".

Si certaines réflexions de ce couple bourgeois vivant à Auteuil vont sembler surannées, certaines n’auront, plus d’un demi-siècle plus tard, pas pris une ride. Toujours aussi pertinentes.
Un autre exemple , "c’est un fait bien connu que personne ne lit plus… Jamais on n’a autant publié, jamais on n’a moins lu."

Ayant déjà lu plusieurs ouvrages de B. Groult, ce journal amoureux a confirmé l’admiration et le plaisir de lire les engagements de cette féministe convaincue et convaincante.