Zadigacités
de Patrick Henin-Miris

critiqué par Kinbote, le 13 novembre 2021
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Un excellent recueil de microfictions !
C'est agréable de faire court, écrit l’auteur en quatrième de couverture de cette cinquième livraison des Microcactus, la nouvelle collection du Cactus Inébranlable consacrée aux microfictions (d’une centaine de mots). C’est aussi fort agréable de lire des textes d’une telle qualité et variété d’inspiration.

Le texte ouvrant le recueil, intitulé "La décroissance", commence justement par un aphorisme lu par le narrateur qui invite à limiter sa vitesse en tout pour goûter au bonheur. Dès lors, il « s’applique à tout réduire : de ses activités jusqu’au moindre de ses mouvements… » Par ailleurs, l’extension de l’espace fait l’objet d’autres textes, comme, entre autres, "L’encadrement" ou "Le lieu public".

L’accélération comme la décélération du temps, de même que les voyages que celui-ci permet, sont d’ailleurs un des thèmes principaux du recueil. Comme dans ce texte où le narrateur se pique avec les aiguilles d’une horloge ou cet autre dans lequel un ancien chasseur se met à collectionner les pendules… Il y a aussi cette histoire d’un homme qui reçoit dans son enfance « un cadeau inestimable : une minute » ; l’usage qu’il en fera est magnifique. Le temps mais aussi ce qui permet de le retenir, la mémoire qui « décide si [tel] événement possède toutes les aptitudes pour devenir un souvenir. »

Le silence est un autre thème abordé avec cet homme qui lit dans les silences ou ce couple qui a « passé des années à composer leur silence »

La disparition, sous toutes ses formes, jusqu’à la disparition de soi, en est un autre. Quelqu’un qui cherche sa maison, un enfant qui cherche un ailleurs où jeter sa canette vide, ou encore ce voyageur débarqué du train cherchant la gare… Dans "Les forêts", on se demande où est passée la forêt amazonienne. Et dans un autre, c’est le « rêve incandescent enfui avant le réveil » que recherche un rêveur.

Il y aussi les métiers oubliés, aux intitulés et textes savoureux, à découvrir.

Le recueil reconsidère aussi de manière subtile et pertinente l’état de notre société décérébrée, axée sur l’ « opinionisme » et le saccage des richesses naturelles.

Bref, c’est souvent la liberté, nécessaire à l’équilibre de l’homme (comme dans "L’instrument de conduite") qui est mise en je(u). Les fenêtres dans les espaces clos en sont la voie d’accès, leur espace de décision pour s’exprimer pleinement, trouver un semblant de bonheur ou de réponse aux pourquoi de l’existence. Et ce sens de la décision, de tirer au mieux profit des désagréments de l’existence et du monde, rapporte au titre, zadigacité[s], un mot-valise du dico empruntant au Zadig de Voltaire et synonyme de sérendipidité.

Vous pensez que j’en ai trop dit sur ce recueil ? Vous vous trompez car il comprend pas moins de 180 textes qui nous font voyager dans un univers aussi poétique qu’inventif, celui, il va sans dire, de Patrick Henin-Miris.

Patrick Henin-Miris a publié plusieurs titres au Cactus Inébranlable dont, dernièrement, un excellent recueil d’aphorismes, « qui méritent d’être savourés lentement »: "En avant, marge !"
Création par inadvertance 8 étoiles

Après avoir lu précédemment, chez le même éditeur, deux recueils d’aphorismes de cet auteur, je n’en sais toujours pas plus sur sa biographie. Je peux simplement confirmé ce que j’avais déjà ressenti : « ses textes révèlent certains aspects de sa personnalité : sa grande culture, son esprit vif, acéré, d’une grande finesse. Je peux aussi déduire de cette lecture que cet auteur n’est pas un débutant, il a suffisamment vécu pour accumuler avec lucidité une certaine dose d’aigreur à l’endroit de ses contemporains, il les voit à l’œuvre probablement depuis un temps suffisant déjà pour juger leur comportement et leurs errements ».

Dans ce nouveau recueil, le cinquième opus de « Microcactus », la nouvelle collection de Cactus inébranlable éditions, il aborde une nouvelle forme d’expression écrite : des micro-récits, deux par page dans un opus d’un petit format (10x15) soit environ deux cents micro-textes, et peut-être aussi une nouvelle approche des thèmes qu’il aime à mettre en évidence, des questions, des vérités, des suggestions, des étonnements des traits d’esprit, ..., qu’il laisse transparaître dans ses réflexions, maximes, élucubrations, démonstrations, et autres formes d’expression qu’il a choisi.

L’auteur ou l’éditeur propose sur la page de titre une définition de ce que pourrait être ces mystérieuses zadigacités annoncées par le titre : des « Capacités à reconnaître intuitivement et immédiatement et à exploiter rapidement et corrélativement les conséquences potentielles heureuses et les opportunités offertes d’un concours malheureux de circonstances ». L’allusion se veut voltairienne out en étant même si elle est un brin fantaisiste. Muni de cette référence et de cette définition sibylline, j’ai exploré les micro-textes de Patrick Henin, ma première impression a été de penser que ces copeaux de textes étaient comme de longs aphorismes permettant d’aller un peu plus loin dans l’exploration des thèmes que l’auteur propose à ses lecteurs.

Ces explorations sont souvent surréalistes, burlesques, incongrues ou même tout simplement drôles et même hilarantes. Par exemple, l’auteur démontre comment un peintre est devenu le peintre de l’éphémère, comment un petit élève studieux peut se retrouver seul à plusieurs, comment un apprenti sorcier peut manipuler le pire des explosifs : des questions, comment évaluer les dégâts causés par un éclat de rire, …, il y en a deux cents de la même eau. De quoi ravir les lecteurs les plus exigeants qui apprécieront l’étonnante virtuosité de Patrick Henin à plonger au cœur du langage pour en extrapoler des interprétations toutes aussi étonnantes des thèmes qu’il explore.

Ces épluchures de texte sont au Microcactus ce que les aphorismes sont aux P’tits cactus !

Débézed - Besançon - 77 ans - 16 décembre 2021