De joyeuses funérailles
de Ludmila Oulitskaïa

critiqué par Jules, le 8 mars 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
L'agonie dans la joie et la vie
New York en été. Il fait chaud, humide. Alik, un peintre russe, d'origine juive, se meurt lentement dans un petit appartement d'un petit immeuble.
Il est installé au milieu de la partie living de son atelier. Tout le monde est là. Tout le monde, c’est un rassemblement de femmes, d’hommes, presque tous originaires de la vieille Russie, ou du centre de l'Europe. Certains boivent du thé, d’autres de l’alcool, on parle, on se chamaille. Les femmes d’Alik sont là. L’actuelle, une ou deux anciennes, celles qui auraient pu mais ne l’ont pas été. Il y a aussi Tee-shirt, une gamine de quinze ans. Elles sont toutes quasi nues, sauf Tee-shirt, tant la chaleur est grande.
Alik se meurt d'une atrophie de tous les muscles. Son état va connaître des hauts et des bas pendant tout le livre, mais il est clair qu’il ne tiendra pas longtemps. La douche ne cesse de servir pour rafraîchir les différents occupants. Certains se relayeront pour dormir une heure ou deux. Même les soins du docteur Gruber seront donnés en public. Entre un rabbin, immédiatement suivi par un prêtre. Nina, la femme d'Alik, voudrait qu'il se fasse baptiser et se convertisse. Le rabbin s'en étrangle, alors qu'Alik lui soumet le problème. Il se dit que de toute façon, ils ne pourront pas se comprendre. Le rabbin ne parle que par Le Livre, alors que lui pense à Malévitch ou à Chirico.
En fond de décor se poseront aussi les vulgaires petits problèmes financiers. Le loyer n'est pas payé depuis deux mois, le téléphone non plus, ainsi que quelques autres broutilles qui ne préoccupent en rien Alik. Mais quand il ne sera plus là, que se passera-t-il pour sa femme ?… Et chacun de chercher qui, parmi l’assemblée, pourrait arranger tous ces problèmes et faire en sorte qu'Alik parti, Nina ne se retrouve pas dans la rue. Les tableaux d'Alik sont dans une galerie, mais le contrat ayant été mal fait, les propriétaires de celle-ci les volent.
Et cela bouge, et cela remue !… Prêtre et rabbin s’empoignent verbalement chacun cherchant la victoire, sous le regard d’Alik qui se dit qu'il « n’est pas mauvais dans le rôle d'Aladin » !
Oulitskaïa nous offre une lente agonie dans une ambiance trépidante, avec un agonisant que le monde et cette agitation distraient. Il observe l’Ïil narquois mais plein de bonté aussi. Il aime tous ces gens et est heureux. Une ambiance russe, juive, pleine de vie, qui ressemble à l’opposé de ce que nous pourrions connaître. Ce livre est rempli d'avis sur les religions, sur les Juifs, les Russes, les Américains, la vieille Europe décadente, la civilisation, la vie, la mort, la souffrance, etc.
Un livre gai à lire et plein d’enseignements.
De Joyeuses Funérailles 10 étoiles

Malgré ses tumultes historiques, sa misère économique, et sa solitude au sein de l'Occident, la Russie , pays de tradition littéraire immense ne pouvait se tarir pour toujours.
Ludmila Oulitskaia, poétique romancière moscovite de tradition tchekovienne écrit depuis une trentaine d'années et s'affirme comme la digne représentante du roman contemporain russe.
"De joyeuses Funérailles" est l'histoire d'un artiste juif russe qui agonisant, choisit de mourir dans son loft de Manhattan entouré des femmes de sa vie et des ses amis qui l'adorent.
Ces femmes et ces amis, tous russes et très différents les uns des autres sont apparentés par le seul fait qu'ils ont tous accompli le même acte: Celui de quitter leur terre d'origine, de franchir une frontière et de s'établir dans le Nouveau Monde tout en gardant un lien indestructible avec leur pays d'origine.
Quand Loudmila Oulitskaia décrit avec drôlerie et tendresse les rapports humains et le comportement de tous ces gens déracinés et truculents qui accompagnent leur ami vers son dernier voyage, elle aborde en mêlant comédie et tragédie les thèmes universels tels que l'Amour, l'Amitié, l'attachement au passé , la vie dans un nouveau pays et bien sûr la Mort.
Tout en chantant "Buvons ensemble une dernière fois à l'Amitié, l'Amour la Joie"... Oulitskaia nous montre que la Mort est au coeur même de la Vie et la façon dont l'artiste tend la main après sa mort à ceux qu'il aime est bouleversante. L.Oulitskaia nous rappelle ainsi que les pouvoirs de l'Amour et ceux de l'Humour sont les seuls que nous ayons pour affronter philosophiquement la Mort.

CarolineTan - - 62 ans - 12 avril 2005