nique
de Ana Tot

critiqué par Débézed, le 21 octobre 2021
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Poésie oulipienne
Ana Not est une auteure pluridisciplinaire et passionnée comme le souligne son éditeur, elle s’implique de façon quasi obsessionnelles dans de multiples activités qui tournent autour du livre : l’édition, la traduction et bien sûr l’écriture jusqu’à la poésie. D’origine hispanique, elle navigue au gré de ses occupations de part et d’autre des cimes pyrénéennes. Dans le présent recueil, elle propose de la poésie « pauvre » qui est comme le signale la quatrième de couverture : « mécanique, prosaïque, enfantine et infantile, érotique… ».

Pour ma part, moi qui ne suis pas un théoricien de la poésie mas seulement un lecteur assidu qui cherche des émotions entre les vers mais aussi dans la forme des poèmes, j’ai trouvé dans ce recueil une démarche oulipienne, une recherche des contraintes, et même, dans certains textes, une démarche parnassienne dans l’élaboration des formes textuelles. Ana prend les mots comme certains prennent avec une fourchette ou une pique, les petites niques qu’on grignote autour d’un barbecue où assis dans l’herbe fraîche d’un pré. Ces niques, elle les pique, les étire, les tortille, les allonge, les déforme, les multiplie pour en faire des brochettes comme elle tricote des vers avec les mots qu’elle triture. Elle nous propose de déguster ses niques comme d’autres dégustent les brochettes. Sa recette est fondée essentiellement sur l’utilisation poussée à l’extrême de l’allitération et de l’assonance, du doublement, voir du triplement, de certains mots pour donner plus de poids à ceux-ci mais aussi pour scander le ver, pour en mieux rythmer la musique. Ces poèmes, parfois courts souvent longs, sont comme des solos, plus souvent des sonates parfois même des concertos et d’autres fois de véritables symphonies. Le mot trituré peut devenir variation, soliste face à un tutti ou thème d’une longue symphonie.

J’aime à voir dans ces poèmes très contemporains une analogie avec la gastronomie simple et campagnarde et avec la musique que la répétition des mots souligne. Ana d’après ma lecture et les quelques documents que j’ai pu consulter semble une artiste très libre, très créatrice, très novatrice. Elle n’enferme pas le lecteur dans un discours didactique ou émotionnel, elle lui propose un plan, comme un jazzman, qu’il devra reprendre à son compte pour boucher les espaces qu’elle lui laisse.

Dans la dernière partie du recueil Ana ose l’érotisme cru mais pas vulgaire ni pornographiques, elle dit seulement les fonctions végétatives nécessaires à la procréation et au plaisir de vivre à deux ou à plusieurs.

« ose ana montre-moi / ana tes fesses en liesse / ana mes phrases emphase / ose ana montre-moi ».

Le mot est au cœur de la démarche d’Ana comme la nique est au centre de tout pique-nique, elle l’accommode aux diverses sauces qu’elle a préparés avec en filigrane toujours la terre, la campagne, la famille, les amis, les racines et aussi mais après seulement l’autre, celui qui colporte l’amour … éventuellement. Malgré les angles un peu vifs de certains textes et la rigueur polyphonique des répétitions, ces poèmes laissent filtrer un rai de tendresse, une certaine douceur de vivre, un peu d’espoir dans ce monde en déroute. Je ne sais pourquoi en lisant ces textes, j’ai pensé à Philippe Jaffeux, son énorme résilience et sa recherche langagière. Lui aussi a confiance dans les mots,

« les mots (qui) séduisent / du moins / ceux qui les prononcent / ne trompent plus / personne / ne trompe personne ».