Moravagine, suivi de "La Fin du monde filmée par l'Ange N.-D." et de "L'Eubage"
de Blaise Cendrars

critiqué par Lfrobin, le 2 septembre 2004
( - 41 ans)


La note:  étoiles
L'histoire d'un fou ou presque.
Ceci est un livre à claque.
J'entends par la que vous en prendrez une si vous prenez le temps de le lire jusqu'à la fin.
Moravagine, le héros fou interné qui fascine tant un jeune médecin orgueilleux, vit une histoire délirante et farfelue, peu crédible, qui met dans l'esprit du lecteur le doute, l'angoisse et l'incompréhension. Ce livre se lit tendu, jusqu'à ce que les 10 dernières pages vous libèrent. Un grand oooouuuuuuffff s'échappe de votre bouche et vient le plaisir.

Le style de Blaise n'est plus à décrire, fluide et fin, libre et dense, il se laisse lire aussi bien qu'une discussion se laisse écouter, sans effort et surprenant.
Mon commentaire n'est pas objectif mais passionné, ce livre est à mes yeux un des grands chefs d'oeuvre de la littérature contemporaine.
Vous aimerez ou détesterez, comme c'est le cas pour toutes les grandes oeuvres (Mr Céline, si vous m'entendez...), lisez donc ce divertissement d'une rare profondeur pour un divertissement, et donnez-moi des nouvelles !
Choc 10 étoiles

Difficile de se préparer à la lecture de "Moravagine", clairement le chef d'oeuvre méconnu de Cendrars (là où "L'Or" est son chef d'oeuvre reconnu). Un roman qui semble ne pas en être un, tout en en étant un, l'histoire d'un fou d'origine hongroise ou russe, interné (suite à un crime passionnel) se faisant évader par le narrateur, et avec lequel il va partir pour de folles (dans tous les sens du terme) aventures à travers le monde, Russie (d'avant la Révolution), Amérique, Amérique du Sud, Europe... Il irait même jusqu'à Mars si c'était possible.
On finira par apprendre que Moravagine, malgré qu'on cite des extraits de ses oeuvres littéraires, n'a évidemment jamais existé. Mais pendant 250 pages, Cendrars nous fait croire l'inverse.
Un roman difficile à lire malgré sa faible épaisseur. Intense, dur, tendu. Mais un authentique chef d'oeuvre.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 23 septembre 2024


Exubérant et baroque 7 étoiles

Etrange roman que ce Moravagine. Roman ? Exorcisme ? (la quatrième de couverture évoque Moravagine comme »le double, l’ombre maudite qu’il (Blaise Cendrars) cherche à exorciser …) Essai sur le Mal ou la folie ? C’est un roman pourtant.
Moravagine est interné dans une clinique psychiatrique en Suisse, au Sanatorium de Waldensee, près de Berne, quand le narrateur, Raymond (Raymond la Science), en 1900 frais émoulu de ses études de médecine se rend là-bas pour travailler avec le Docteur Stein, sommité avant-gardiste de la psychiatrie.
Il se rend compte là-bas qu’il y a un cas tout à fait à part, séparé des autres patients, isolé : Moravagine. Dès le premier contact, Moravagine est déroutant :

»C’est un petit homme noir, maigre, noué, sec comme un cep et comme brûlé par la flamme qui brille au fond de ses yeux agrandis. Le front est bas. Les orbites profondes. Les cernes rejoignent les plis de la bouche. La jambe droite en équerre, il a le genou ankylosé et boite terriblement. Il est un peu voûté. Ses mains dandinent au bout de bras longs comme ceux d’un singe.
Et, tout à coup, il se met à parler, sans volubilité aucune, lentement, posément. Sa voix chaude, grave, d’alto féminin me stupéfie.
…/…
J’éprouvai immédiatement une sympathie irrésistible pour ce petit bonhomme singulier et tragique qui se traînait dans sa voix chatoyante comme une chenille dans sa peau.


Et ce n’est pas dans son dossier que Raymond va trouver beaucoup d’éléments de compréhension :

»Fiche 1731. MORAVAGINE. Professeur de tennis. Entré le 12 juin 1894. A fait construire à ses frais le pavillon-annexe de la Ferme anglaise. Signalement : cheveux, noirs ; yeux, noirs ; front, bas ; nez, régulier ; visage, allongé ; taille, 1m48 ; marques particulières, ankylose du genou droit, raccourcissement de 8 cm de la jambe droite. Pour état-civil et diagnostic consulter le dossier secret 110 au nom de G … y.
Le dossier secret 110 n’existait pas en tant que dossier. Une simple feuille de papier bleu portait cette mention manuscrite :
1731. G … y. En cas de décès, télégraphier à l’ambassade d’Autriche. »


Qu’à cela ne tienne Raymond le jeune médecin est tombé comme sous l’emprise de Moravagine et, mi pour mener une expérience en grandeur réelle, mi par sympathie, il prend la décision de faire s’évader Moravagine et de partir avec lui.
Ca, c’est le début du roman et ça reste rationnel ( !). Très vite, la suite s’avère beaucoup plus flamboyante, exubérante, fantastique puisque, en compagnie de Moravagine, Raymond va parcourir le monde, flirter avec la Révolution à venir en Russie, jouer les aventuriers exploitants de mines en Amérique du Nord, l’illuminé suicidaire sur les bords de l’Orénoque, … et accessoirement couvrir Moravagine qui se révèle un dangereux psychopathe n’aimant rien tant qu’éventrer, ou à défaut tuer, des femmes et semer le Mal un peu partout.
Le roman part très vite dans toutes les directions et le lecteur est rapidement étouffé, dépassé, par l’énormité des situations dans lesquelles nos deux fuyards se retrouvent, par la monstruosité de certains actes de Moravagine. Concernant Raymond la Science, « Docteur Folamour » pas loin !
D’ailleurs ce roman foisonnant pourrait être un mélange hybride de « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, de « L’or » du même Cendrars et du « Cuirassé Potemkine », le tout en vitesse accélérée et mené par un fou !

Tistou - - 68 ans - 31 décembre 2019


Singulier roman 8 étoiles

Voici le roman qui est venu rompre un cycle de lectures décevantes, et qui figurera sans aucun doute dans mon top 5 de l’année 2010. Outre le plaisir de lecture qu’il m’a procuré, il m’a également permis de découvrir un grand auteur qui m’était encore inconnu.

Son narrateur, Raymond, est un jeune psychiatre qui entame au début du livre un stage dans un hôpital psychiatrique suisse. Il y fait la connaissance de Moravagine, malade interné depuis de longues années dans le pavillon réservé aux incurables. C’est un homicide qui a conduit dans cet établissement renommé ce dernier descendant d’une lignée noble d’Europe de l’Est, qui s’avère être un fou dangereux. Mais Raymond s’attache à cet homme au point de le faire évader, et leur fuite perpétuelle va leur faire vivre de nombreuses aventures improbables à travers le monde.

Moravagine est un roman particulier, qui happe dès les premières pages. Ce personnage a hanté Blaise Cendrars durant des années, et l’écriture de ce livre a été menée parallèlement à d’autres travaux, comme il l’explique lui-même dans la très intéressante postface de cette édition (Grasset – Les cahiers rouges). Déroutant, halluciné, anticonformiste… tels sont les premiers qualificatifs qui me viennent à l’esprit pour décrire mon ressenti sur ce livre vraisemblablement unique dans sa façon d’évoquer le Mal. Et qui tient tout à la fois du thriller et du roman d’aventures. Une belle découverte !

Aliénor - - 56 ans - 15 août 2010


Voyage avec le mal 8 étoiles

Bien que reprenant le thème du voyage, souvent abordé par l'auteur, ce roman reste un livre à part dans l'œuvre de Blaise Cendrars.

Un psychiatre va faire la connaissance dans un asile, de Moravagine, dernier descendant d'une famille aristocratique, interné pour le meurtre de sa femme. Le médecin aidera son patient à s'évader. Ensemble ils parcourront le monde, de la Russie à l'Amérique du Sud, la France. Le médecin accompagnant la folie meurtrière de son patient.

Mais au fil de la lecture on se rend compte que l'aventure n'est que prétexte à présenter la complexité de la nature humaine, l'étude du mal et de la folie. Certain voient en Moravagine le double maléfique de Cendrars; sans aller jusque là, peut-être l'auteur y exorcise t'il seulement ses démons ?

Ce n'est probablement pas le roman le plus simple pour s'initier à Cendrars, c'est en tout cas le plus inclassable roman de son œuvre.
Un livre impressionnant par la maîtrise de l'écriture de l'auteur. A lire de toute urgence !

Popaul - - 54 ans - 30 septembre 2009


Est-il fou lui aussi? 3 étoiles

Un roman sans construction logique, sans fil rouge, trop décousu pour moi. Tellement décousu qu'on ne sait pas s'il s'agit de fantastique, de folie, de passages non écrits...

Un voyage effrayant dans l'esprit malade d'un homme. Un style qui s'étale sur des détails insignifiants mais qui raccourcit parfois les passages relevants.

Des points de vue si extrêmes que l'on ne comprend plus la pensée de l'écrivain. Est-il fou lui aussi?

Le pingouin - - 35 ans - 22 juin 2009


Une oeuvre baroque 7 étoiles

On a souvent dit du roman qu’il était un genre protéiforme . Un exemple en est donné par MORAVAGINE qui fait se succéder des chapitres d’intérêt historique, psychiatrique, ethnologique, des considérations générales d’ordre sociologique, et des passages d’une grande beauté poétique .
Le principe de disparité semble présider à la construction de cet ouvrage baroque et s’explique par la longue durée de gestation et d’écriture de l’œuvre qui a hanté Cendrars pendant plus de 10 ans .C’est aussi ce caractère qui la rattache au mouvement surréaliste .
La puissance du roman tient en premier lieu à la figure du héros , ce « grand fauve humain », au nom que Cendrars lui a donné et dont les sonorités suggèrent à la fois les notions de mort, de ravage, de vagin et connotent la facette maléfique du personnage , mais elle tient aussi à la volonté de Cendrars d’exorciser par l’écriture un personnage qui le hantait, qui était une sorte de double . C’est ce qu’il expliquera plus tard dans un inédit « Comment j’ai écrit Moravagine», chronique précieuse pour analyser les rapports entre un romancier et son personnage

Alma - - - ans - 2 août 2008


Roman brutal 8 étoiles

La sortie de Moravagine, un an après L’Or, troubla plus d’un critique : on admettait mal que ces deux livres soient du même auteur. À chaque publication, Cendrars, insaisissable, se métamorphose. Si L’Or pouvait rassurer le lecteur par sa stabilité linéaire, Moravagine, lui, déstabilise par sa violente construction.

Publié en 1926, Moravagine retrace la fin d’une époque dans toute sa violence à travers les aventures de Raymond de la Science, un jeune médecin, qui s’enfuit avec un patient schizophrène prénommé Moravagine.

À noter que des études semblent affirmer que ce personnage de Moravagine serait inspiré par Adolf Wölfli que plusieurs considèrent comme un grand précurseur de l’Art Brut. Cendrars, qui fût étudiant en médecine, à Berne, dresse ici un portrait plus subjectif de Moravagine que le général Suter dans L'Or. Sa phrase, animée d’une syntaxe plus ouverte, plus mouvante, pourrait s’assimiler à l’esprit du cubisme. À partir de ce roman résolument moderne, Cendrars orientera sa prose vers l’autofiction.

Un roman aussi rageur que le Voyage au bout de la nuit, de Céline, publié en 1932.

DomPerro - - - ans - 24 octobre 2006