L'Iris sauvage
de Louise Glück

critiqué par Septularisen, le 1 juin 2021
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et dans la froideur du matin sur la surface sombre de la terre des échos de ma voix dérivent, blancheur assidûment absorbée par les ténèbres».
Ce n’était pas supposé
durer éternellement dans le monde réel.
Mais pourquoi l’admettre quand tu peux continuer
à faire ce que tu as toujours fait,
le deuil et les reproches,
toujours les deux ensemble.

Je n’ai pas besoin de tes louanges
pour survivre. J’étais là en premier,
avant toi, avant
même que tu aies planté le premier jardin.
Et je serai là, quand il ne restera que le soleil, la lune,
la mer et la grande prairie.

Je serai la prairie.

Pratiquement inconnue dans les pays francophones, le nom de Louise GLÜCK (*1943), est devenu mondialement célèbre, le jeudi 8 octobre 2020, quand le Prix Nobel de Littérature lui est attribué à la surprise générale. Immense star de la poésie contemporaine aux États-Unis d’Amérique, il n’existait à l’époque, en traduction française, que quelques poèmes parus dans différentes revues de poésie.

Profitant à fond de «l’effet Nobel», les éditions Gallimard nous proposent donc la traduction de son recueil «L’Iris sauvage» (1992), qui a marqué un tournant décisif dans l’œuvre de Louise GLÜCK à sa parution, puisque sa configuration et la structure sont inédites : les personnes humaines sont délaissées au profit des fleurs et plantes d’un jardin domestiqué... Celui du poète-jardinier!

Dans «L’Iris sauvage», l’humain et le végétal sont représentés dans l’attente perpétuelle d’un signe de Dieu. Les poèmes ne narrent aucune histoire. C’est une sorte de «conversation», un dialogue triangulaire, - plus ou moins théologique et mystique -, entre le jardinier (ici une femme qui n’est autre que la poétesse), les fleurs et le divin. L’humain et le végétal, sont dans l’attente perpétuelle d’un signe de Dieu. Le recueil problématise la relation au divin, l’interprétation des signes, la voix lyrique s’interroge sur l’absence de Dieu et lui demande (parfois avec beaucoup d'humour), où celui-ci a bien pu partir en voyage:

«VÊPRES»

Il y eut un jour où je crois en toi; je plantai un figuier
Ici, dans le Vermont, pays
sans été. C’était un test: si l’arbre poussait,
alors cela voulait dire que tu existais.

D’après cette logique, tu n’existe pas. Ou alors tu existes
exclusivement dans les contrées plus chaudes,
en fervente Sicile, au Mexique ou en Californie,
où poussent l’inimaginable
abricot et la pêche fragile. Peut-être
peuvent-ils voir ton visage en Sicile; ici, à peine voit-on
l’ourlet de ton vêtement. Je dois me contraindre
à partager les plants de tomates avec John et Noah.

S’il est une justice dans quelque autre monde, ceux
comme moi, que la nature contraint
à des vies d’abstinence, devraient recevoir
la part du lion de tout, de tous
les objets de désir, l’avidité étant
louange de toi. Et personne d’autre ne prie
plus intensément que moi, avec autant
de désir douloureusement réprimé, ou ne mérite
de s’asseoir à ta droite, si tant est qu’elle existe, de se sustenter
du périssable, de la figue immortelle,
qui ne voyage pas.

Plusieurs voix de personnes présentes dans ce jardin, - que nous suivons au cours des différentes saisons et à différent moments de la journée -, se mêlent. Celle d’une femme (Louise GLÜCK elle-même), un homme (John le mari de la poétesse), un enfant (Noah leur fils), et un mystérieux Dieu invisible, qui n’est jamais nommé, si ce n’est sous le nom de «Créateur», et parfois comparé à un astre et plus spécifiquement au soleil. La présence de plants de tomates et d’outils de jardinage, par exemple, nous rappelle toutefois que ce jardin est bien... Terrestre!

C’est une poésie directe ou l'auteur s'adresse directement au lecteur. C'est très simple (mais jamais simpliste), d'une grande clarté et une grande lisibilité, même si les thèmes abordés sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît à première vue. L'écriture est comme en mouvement, toute en oscillations et en vibrations, avec beaucoup d’humeur et d’ironie. Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de la poétesse polonaise Wislawa SZYMBORSKA (1923 – 2012, autre grande découverte de l’Académie Suédoise, également lauréate du Prix Nobel de Littérature en 1996) (*).
Je fini mystifié par cette lecture, ébloui, quel talent, quelle écriture, quelle beauté, quelle délicatesse, quelle originalité… Je n'hésite pas à vous dire que ce «dialogue» permanent entre Dieu (oui finalement appelons-le comme ça!..) et sa création, ou mieux sa créature, vaut bien la lecture de tous les livres de théologie! C'est simple, les mots me manquent pour décrire une si belle poésie, je ne peux que vous proposer une seule chose, lisez-la, lisez-la, lisez-la, à la passion, à la folie!

Laissons maintenant la parole à la poétesse, avec le poème «L’Iris sauvage», le poème qui a donné son titre à ce recueil. Écoutez Mme. Louise GLÜCK elle-même, lire ce poème dans sa langue natale ici : https://www.youtube.com/watch?v=oRASORxulTs

«L’IRIS SAUVAGE»

Au bout de ma douleur
il y avait une porte.

Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,
je m’en souviens.

En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin.
Puis plus rien. Le soleil pâle
vacilla sur la surface sèche.

C’est une chose terrible que de survivre
comme conscience
enterrée dans la terre sombre.

Puis ce fut terminé: ce que tu crains, être
une âme et incapable
de parler prenant brutalement fin, la terre raide
pliant un peu. Et ce que je crus être
des oiseaux sautillant des les petits arbustes.

Toi qui ne te souviens pas
du passage depuis l’autre monde,
je te disque je pus de nouveau parler: tout ce qui
revient de l’oubli revient
pour trouver une voix:

du centre de ma vie surgit
une grande fontaine, ombres
bleu foncé sur eau marine azurée.

Et le même dans sa langue d’origine :

«The wild iris»

At the end of my suffering
There was a door.

Hear me out: that which you call death
I remember.

Overhead, noises, branches of the pine shifting.
Then nothing. The weak sun
flickered over the dry surface.

It is terrible to survive
as consciousness
buried in the dark earth.

The nit was over: that which you feat, being
a soul and unable
to speak, ending abruptly, the stiff earth
bending a little. And what I took to be
birds darting in low shrubs.

You who do not remember
passage from the other world
I tell you I could speack again: whatever
returns from oblivion returns
to find a voice:

from the center of my life came
a great fountain, deep blue
shadows on azure seawater.

Le recueil «L’Iris sauvage» a été récompensé du prix Pulitzer de poésie en 1992, et comme déjà dit Mme. Louise GLÜCK à été la lauréate du Prix Nobel de Littérature 2020.

(*) : Cf. Ici sur CL : http://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/…