Tournée d'adieu
de Thierry Roquet

critiqué par Kinbote, le 25 mai 2021
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Pour dire au revoir à la morosité
Dans son précédent recueil de poésie, intitulé joliment (et sans majuscule) "à la périphérie du monde (par la ligne 13 du métro)", paru chez le même éditeur, Thierry Roquet nous disait qu’il écrivait de la poésie du quotidien "pour que de mes jours creux / il reste une brindille de souvenir" et qu’il écrivait sur lui pour qu’on sache à quoi s’attendre si jamais on devait le rencontrer. Il écrit aussi dans le même registre, entre auto-dérision et leçons de savoir mieux vivre, des aphorismes singuliers au Cactus Inébranlable.

Rien de nombriliste toutefois dans ses textes en vers ou aphorismes, là, ou, ici, en prose.

Dans Tournée d’adieu, il propose une nonantaine de textes du meilleur cru qui puisent à diverses sources et nous font voyager dans les temps de sa vie revisité par son regard : celui des gens qui peinent à nouer les deux bout. Entre entretiens d’embauche et misère journalière en passant par les vexations sur les lieux de travail et autres désagréments, c’est un monde au plus près de l’humanité qu’il narre, toujours avec humour et tendresse. Avec des échappées fictives dans le passé et dans le futur comme dans son imaginaire.

Il nous propose ainsi des "salves de souvenirs en vrac" (ses Je me souviens), textes plus brefs encore et non moins percutants, qui nous plongent évidemment, pour partie, dans sa jeunesse ou son enfance.

De cette plongée dans le monde d’en bas, il ressort beaucoup d’énergie et de vie, comme chez cette femme qui, chaque soir, fouille dans [ses] poubelles… Roquet nous fait ressentir le poids du capitalisme ambiant, qui maintient une partie de la population à la marge avec l’aide d’une autre partie assurant le rôle de garde-chiourmes, de kapos, souvent représentés par le mâle dominant.

Des textes courts, spirituels, enlevés, aigres-doux, pour dire au revoir à la morosité, qui permettent de connaître Thierry comme si on le rencontrait en vrai (et en attendant de le revoir). C’est d’ailleurs lui, en petit, devant la Dauphine sur la photo de couve.

Espérons que, à l’instar de certaines stars du showbiz, cette Tournée d’adieu ne soit pas la dernière car Thierry Roquet est un grand vivant, un poète du monde demeurant à Malakoff, France.

Puis, le livre au format A6, tient bien dans la main et dans les poches. Il est vendu au prix de seulement 7€.

DEUX TEXTES, tirés du recueil.

LE DÉSERT GAGNE DU TERRAIN

Un grain de sable, un seul et minuscule grain de sable, suffit à enrayer la tranquille mécanique des habitudes. Il y a plusieurs raisons à cela. On en connaît déjà certaines. Il paraît aussi que le vent orageux, parfois, en ramène un jusqu’à nous. Je veux dire : un vrai grain de sable.

Cet été, on déposera ce grain de sable aventurier, solitaire et perdu, là où il doit être, là d’où il vient. Notre vie devrait alors reprendre son cours, un cours normal et sans aspérité.

ENQUÊTEUR TÉLÉPHONIQUE D'ANTAN

Durant l’Antiquité, je vous aurais posé les questions en latin et en grec sur une belle feuille de parchemin, élaborée par les meilleurs spécialistes de la peau animale, dressant un pigeon voyageur et l’envoyant jusqu’à vous.

A son retour, j’aurais enregistré vos réponses dactylographiée dans un volumen doré, que deux ou trois copistes, soigneusement triés sur le volet, auraient analysées avant le lancement d’une nouvelle enquête de satisfaction sur palimpseste.

Ça aurait eu quand même plus de gueule, non ?