Les livres maudits
de Jacques Bergier

critiqué par Bookivore, le 20 mai 2021
(MENUCOURT - 41 ans)


La note:  étoiles
La bibliothèque interdite
Quiconque s'intéresse à l'occulte a sans aucun doute déjà entendu parler, au moins entendu parler, de Jacques Bergier. Né en 1912 et mort en 1978, Bergier, de son vrai nom Yakov Mikhailovitch Berger, était un scientifique (ingénieur chimiste), journaliste, résistant, espion et écrivain français d'origine ukrainienne, que les Tintinophiles connaissent via sa dépiction, dans "Vol 714 Pour Sydney", sous le nom de Mik Ezdanitoff. En 1960, Bergier a écrit, avec Louis Pauwels, "Le Matin Des Magiciens", fameux livre qui introduit la notion de "réalisme fantastique" (courant de pensée et de recherche scientifique sur des sujets écartés par la science : paranormal, occulte, alchimie, ésotérisme...), et qui sera, l'année suivante, par les mêmes Pauwels et Bergier, dérivé en une revue, "Planète". Parallèlement, Bergier a sorti, en solo, des livres, souvent publiés, comme celui-ci, dans la fameuse collection "L'Aventure Mystérieuse" de J'ai Lu, à couverture rouge foncé. Une collection qui verra aussi publier les livres douteux de T. Lobsang Rampa, mais aussi ceux de Gérard de Sède, plus intéressants.

Mais revenons à nos moutons. Ce livre, court comme souvent chez Bergier (il ne fait pas 200 pages, ce n'est pas imprimé en petits caractères ; on en vient à bout avant même de se rendre compte qu'on a commencé à le lire !), a été publié, directement chez J'Ai Lu apparemment, en 1971 et il a pour titre "Les Livres Maudits". J'ai envie de dire que le titre dit tout, mais il faut bien en parler, du contenu, et comme vous pouvez le constater en voyant la note, j'ai aimé ce livre. En fait, non, je l'ai adoré, depuis la première fois que je l'ai lu (il y à bien 3/4 ans), et si je n'ai pas donné la note maximale, c'est parce que j'ai toujours trouvé le livre trop court, j'aurais aimé plus.

"Les Livres Maudits" parle d'une dizaine de livres qui, au travers de l'Histoire (ils sont abordés par ordre chronologique), ont été l'objet de destruction, de censure. Si on met de côté le dernier cité ("La Double Hélice" du professeur Watson, sur l'ADN) et le fameux manuscrit de Voynich que personne n'a encore réussi à décoder, aucun n'existe plus. Enfin, "Excalibur" de L. Ron Hubbard existe, mais est hors d'atteinte, volontairement, légendairement caché dans un coffre-fort. Les quelques personnes qui l'ont lu, autrefois, sont apparemment devenus fous. C'est le livre qui a intronisé la Scientologie, et comme Bergier le dit avec humour (son style est assez amusant, parfois cocasse, léger, un peu ironique mais bienveillant), c'est amusant de se dire que le livre-phare de ce mouvement religieux (ou secte) est invisible, inabordable, contrairement aux livres sacrés d'autres religions (Bible, Coran, etc).

Pour les autres livres, ils n'existent plus, et on peut même se demander si le premier livre abordé, le fameux "Livre de Thot" égyptien, existe réellement, vu qu'il est censé avoir été écrit par le dieu Thot en personne, excusez du très peu. Bergier parle aussi de ce que contenait la fameuse Bibliothèque d'Alexandrie, détruite durant l'Antiquité. Il aborde le cas de la "Stéganographie", écrit au XVIème siècle par un abbé allemand, Trithème, livre codé qui renfermait apparemment des secrets tellement terrifiants qu'il fut détruit.

A chaque fois, Bergier donne l'hypothèse qu'il existe, dans le monde, une confrérie, une organisation secrète puissante, qui, par l'entremise des fameux Hommes en Noir (oubliez les films avec Will Smith, qui abordent certes ces personnages, mais en les caricaturant ; leur légende date de bien avant ces films hollywoodiens), est chargée de faire le ménage quand quelqu'un commence à en savoir un petit peu trop sur ce qu'il n'est pas censé savoir, et qu'il s'apprête à rendre ses découvertes publiques via un livre. Dans l'introduction, Bergier donne l'exemple d'un auteur français du XIXème siècle, Alexandre Saint-Yves d'Alveydre (un occultiste et créateur du concept de synarchie), qui, en 1886, a écrit "Mission de l'Inde en Europe, mission de l'Europe en Asie : La question du Mahatma et sa solution", dans lequel il parle de l'Agharta, empire secret situé quelque part en Asie et d'où les Maîtres Secrets dirigeraient le monde. Il a, peu de temps avant la publication du livre, exigé que tous les exemplaires soient retirés et détruits (ce qui fut fait), ayant reçu des menaces de mort si le livre sortait. Un exemplaire fut sauvé, et réédité en 1910. En 1940, les Nazis déboulent. Ils vont détruire chaque exemplaire de ce livre sur lequel ils tombent. Depuis tombé dans le domaine public ou presque (au moins un exemplaire fut, donc, épargné), il est commercialisé en "impression sur demande", sacré destin que ce livre qui, dans celui de Bergier, n'est abordé que le temps d'un paragraphe !

On parle aussi, ici, du cas très étrange du professeur Filipov, mort étrangement, en 1908, dans son laboratoire en Russie, apparemment tué sur ordre du Tsar Nicolas II par le biais de l'Okhrana, sa police secrète. Pourquoi ? Il aurait trouvé un moyen de créer à distance une explosion, en faisant passer l'effet de l'explosion par onde. Une arme terrifiante qui, selon lui, aurait mis fin à toutes les guerres, par sa violence même. Son laboratoire a été détruit, ses carnets aussi... Comme Oppenheimer le disait, "Je suis le destructeur de mondes"...

Dans "Les Livres Maudits", on découvre donc le destin d'une dizaine de livres sulfureux mais qu'il est impossible de lire (sauf le dernier, sur l'ADN, qui à l'époque a fait l'objet d'une bombe scandaleuse et que l'auteur a failli ne jamais voir sortir), ce qui est, évidemment, frustrant. Mais à supposer que vous mettiez la main sur "Excalibur" de Hubbard, en sachant la réputation de ce livre qui a fait rendre fou 4 des 15 personnes l'ayant lu, auriez-vous envie de le lire ?
Livres maudits car recelant des informations que le commun des mortels ne doit pas savoir, ou parce qu'ils sont trop en avance sur leur temps. Bergier, via ce petit livre, en fait une dépiction passionnante, s'intéressant à leurs auteurs, expliquant pourquoi tel ou tel livre a été détruit, essayant d'extrapoler (difficile de faire autrement, en même temps...) sur leur contenu, fantasmant un peu, c'est vrai... Mais face à un tel sujet, le fantasme est quasiment la seule chose possible.
Pas de la grande littérature, évidemment, mais j'ai adoré ce livre.