Le roman de Louise
de Henri Gougaud

critiqué par Poet75, le 10 mai 2021
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Louise Michel dans tous ses états
Parmi les ouvrages recommandables en ce 150ème anniversaire de la Commune, nul doute que l’on peut compter avec la biographie d’une de ses figures les plus emblématiques. Quand il est question de la Commune, le nom de Louise Michel (1830-1905) apparaît obligatoirement, et pour cause, puisqu’elle s’engagea corps et âme dans ce combat.
Avec Henri Gougaud, auteur réputé pour ses nombreux contes, la vie de la « vierge rouge », comme on l’a surnommée, d’aucuns la comparant aussitôt à Jeanne d’Arc, prend, comme l’indique le titre, des allures de roman. Il faut dire que tout est tellement romanesque, précisément, dans l’étonnant parcours de Louise Michel, qu’il n’y a pas grand effort à faire pour avoir ce sentiment, même si, comme on le sait, et cela se vérifie bien souvent, il est vrai que la réalité dépasse la fiction.
Avec Louise Michel, on est servi. Elle, qui semblait destinée à mener une vie plus ou moins obscure à Vroncourt (Haute-Marne), le village où elle passe son enfance, finit pourtant sa vie à Marseille, à l’âge de 75 ans, en ayant acquis entre-temps un statut de légende vivante. Elle s’en moque bien, d’ailleurs, d’être devenue si célèbre, si ce n’est au nom de la cause des pauvres et des opprimés, qu’elle ne cesse, partout, de proclamer, à temps et à contre-temps.
Même si l’on croit déjà « connaître » Louise Michel, il ne faut pas hésiter à lire l’excellent ouvrage de Henri Gougaud. Car, en vérité, c’est une personnalité bien plus complexe qu’on l’imagine que celle de cette femme qui, alors qu’elle songe, étant jeune, à s’engager pour servir les pauvres au nom de Dieu (elle pense même, un temps, à devenir religieuse), prend, en fin de compte, fait et cause pour l’anarchisme, ce qui lui fait rejeter sinon Dieu lui-même, en tout cas les religions.
Dès l’âge de 15 ans, elle se met à écrire des lettres passionnées à Victor Hugo, elle-même d’ailleurs ne cessant, toute sa vie, de consacrer du temps à l’écriture de toutes sortes de textes, y compris de théâtre et de poésies. Sa recherche de l’absolu la conduit aussi à lire, très jeune, les Paroles d’un Croyant de Lamennais, livre qui lui ouvre un chemin dont elle ne déviera jamais, même en s’engageant à fond dans l’anarchisme. Et, bientôt, dès le moment où elle devient institutrice, elle se fait remarquer, entre autres, en refusant de faire réciter le Notre Père à ses élèves, comme il est d’usage en ce temps-là.
Bien décidée à ne jamais se marier, elle peut se donner à fond à son métier d’institutrice, mais aussi, rapidement, à ses combats pour la justice. Pour elle, pas de doute, il faut que les femmes se libèrent de l’emprise des hommes tout en participant, comme eux, à la Révolution. Ce qu’elle fait, bien évidemment, et avec quelle fougue, durant la Commune. Pour elle, qui se méfie des doctrinaires et leur préfère les poètes, c’est le peuple qui est le nouveau Christ et c’est pour lui qu’il faut se battre.
Pendant la Commune, elle ne se ménage pas, fait front à la mitraille, aime le canon et l’odeur de poudre. Mais aussi, comme elle le fait tout au long de sa vie, dès qu’elle voit des pauvres, elle leur donne tout ce qu’elle a. Signalons, à ce sujet, qu’en excellent conteur qu’il est, Henri Gougaud ne craint pas les petites digressions ou les petits récits dans le récit. Ainsi de cette femme qui, voyant de sa fenêtre une barricade trop basse dont les défenseurs tombent comme des mouches, descend de chez elle, alors qu’elle n’est pas du tout « communarde », pour soigner les blessés. Arrêtée et jugée, elle est condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie ! Ou encore de l’abbé Folley, figure exemplaire d’aumônier des prisons de Versailles, qui, quand Louise Michel est emprisonnée, fait passer secrètement ses lettres enflammées à Ferré, un des communards dont elle est amoureuse. Quand ce dernier est fusillé, Louise Michel connaît une période de profond désespoir. Elle est alors transférée à la prison d’Auberive, où sa seule lueur d’espoir est de rester en contact avec l’abbé Folley et, par ce biais, avec sa mère.
Mais la vie, les combats et les engagements de Louise Michel ne cessent pas jusqu’à sa mort. En Nouvelle-Calédonie, où elle est déportée avec de nombreux autres communards, elle s’intéresse à tout, elle est curieuse de tout découvrir, avide de science au point de s’en aveugler en croyant que les progrès seront tels qu’on finira par vaincre la misère. Elle se trompe lourdement sur ce point, mais ne fait pas d’erreur en se passionnant pour les mœurs et les coutumes des canaques, suscitant l’incompréhension de tous, y compris des autres déportés communards. Mais, pour elle, c’est évident, le peuple canaque subit une insupportable oppression et, s’il se révolte, ce n’est que justice. Néanmoins, quand elle voit des colons blessés par des indigènes, elle s’empresse aussitôt d’aller à leur chevet.
C’est ainsi, il y a d’énormes contradictions chez elle. On ne peut la définir de manière simpliste. Elle se moque d’ailleurs de ce qu’on dit sur elle. De retour à Paris, après son amnistie, elle multiplie les meetings, appelle à la révolution, se fait plusieurs fois arrêter et emprisonner. Elle est acclamée par les uns, mais agace formidablement les autres, y compris certains de ceux qui partagent ses révoltes mais qui jalousent son « succès ». On la calomnie dans certains journaux en prétendant qu’elle est riche, alors que tout ce qu’elle gagne, elle le donne aux pauvres. Quand elle apprend que des attentats ont eu lieu, elle les approuve, mais elle-même serait bien incapable de poser une bombe au milieu d’une foule.
À la fin de sa vie, elle le dit, elle en est sûre, elle qui déteste toutes les formes de pouvoir, « l’anarchisme est décidément ce qu’il faut à l’humanité… » Puis elle ajoute, lors de son dernier discours, peu avant de mourir : « Je ne sais plus haïr. Je ne sais plus qu’aimer ».