Sonnets portugais et autres poèmes
de Elizabeth Browning

critiqué par Septularisen, le 4 mai 2021
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et que je tende la torche aux vents rudes. Entre nos visages, pour les mettre en lumière?»
Sonnet 7 : «La nouvelle Création de l’Amour».

La face du monde a changé, je crois,
Depuis que j’entendis les pas de ton âme
Glisser doucement près de moi, comme
S’ils me dérobaient au terrible gouffre
De la mort, d’où - moi qui pensais sombrer -
Je fus rattrapée par l’amour, et appris
À nouveau la vie. La coupe du sort,
Par Dieu offerte, je la bois volontiers
Et loue sa douceur, toi à mes côtés.
Les noms des pays, des cieux ont changé
Car tu es ou tu seras, ici ou là;
Ce luth et cette chanson… aimés hier,
(Le chœur des anges le sait) ne sont plus chers
Que parce que ton nom danse en leurs paroles.

Si aujourd'hui Elizabeth BARRETT-BROWNING (1806 – 1861, ci-après nommée E.B.B.) n'est plus lue, et est très peu connue, elle est pourtant la poétesse anglaise typique, du XIXe S. qui était déjà très célèbre de son vivant!

Les «Sonnets portugais» sont recueil de quarante-quatre sonnets, légitimement considérés comme la plus belle œuvre de E.B.B. qui lui ont été inspirés par sa rencontre et son amour pour le poète Robert BROWING (1812 - 1899), qui devait par la suite devenir son mari.
La poétesse nous «sert» ici tous les codes de la poésie classique de l’époque «Victorienne». Si le sonnet est mis à la sauce E.B.B. il n’en reste pas moins un classique de la poésie d’amour, mieux la poésie d’une femme amoureuse. E.B.B. habituellement critiquée pour l'absence de clarté de ses métaphores, a su ici discipliner sont talent dans la stricte forme du sonnet qui a l'avantage d'imposer l'utilisation d'une seule image, et de favoriser l'expression cohérente des sentiments intimes.

Sonnet 14 : «Les Causes de l’Amour».

Si tu dois m'aimer, que ce soit pour rien
Sinon pour l'amour en soi. Ne dis pas
«Je l'aime pour son sourire... son allure... sa façon
De parler si douce... sa finesse de pensée
Qui convient à la mienne, et suscita
Tel jour un bien-être fugitif et charmant» -
Car ces choses en elles-mêmes, Aimé, peuvent
Changer, ou changer pour toi - et l'amour
Ainsi construit peut être ainsi détruit.
Ne m'aime pas par pitié pour mes larmes -
Qui jouit longtemps de ton soutien pourrait
Sécher ses pleurs, et perdre ton amour!
Mais aime-moi pour l'amour en soi, pour
Qu'à jamais tu m'aimes, d'un amour sans fin.

C’est court, riche, sensuel, dramatique, c’est un jeu constant entre subtilité et vérité. C’est un mélange très subtil entre pudeur, naïveté, innocence, nostalgie, gentillesse, sincérité, et le tout saupoudré d’une profonde foi. C’est beau, discret, absolu, cela vient du fond du cœur de l’auteure et on voit bien transparaître le sentiment amoureux et toutes ses nuances – l'intérêt, le doute, la fébrilité, l'évolution, le désir, l’amour absolu… -, à travers les vers. E.B.B. ne nous cache rien de son sentiment amoureux, et nous donne à voir ses sentiments les plus intimes, en un mot: Le cœur d'une femme!
Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler la poésie d’Emily DICKINSON (1830 – 1886) (ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/43196) qui avouait d’ailleurs volontiers qu’E.B.B. avait été une de ses sources d’inspiration.

Sonnet 38 :

Quand d'abord il m'embrassa, ce furent les
Doigts de la main avec laquelle j'écris ;
Et, depuis lors, elle est plus pure et blanche...
Lente aux saluts mondains... vive à dire «chut»,
Quand les anges parlent. D'Améthyste ici
Ne saurais porter, plus claire à mes yeux.
Que ce premier baiser. Le second, plus
Altier, chercha mon front, et le manqua.
Tombant sur mes cheveux. Ô récompense!
Ce fut le chrême de l'amour, précédé
De sa suave couronne sanctifiante.
Le troisième sur mes lèvres se clôt en
Pourpre apparat: depuis, en vérité,
Je suis fière et dis, «Mon amour, mon bien.»

Le style très romantique a certes un peu vieilli, - certaines tournures on vieilli, certains termes sont anciens -, beaucoup le trouveront désuet, figé, abstrait, mais l’écriture est, malgré les années qui ont passé, toujours aussi belle. Alors oui, avouons-le, c’est parfois vieillot (aujourd'hui on dirait plutôt «cul cul la praline!») , romantique à souhait (aujourd’hui on dirait plutôt «kitschouille»), sentimental (aujourd’hui on dirait plutôt «à l’eau de rose») et un peu mièvre, mais c’est justement pour cela que l'on aime tellement et puis c'est rempli de bienveillance et d’authenticité que l’on en oublie très vite tout le reste…

Ceux qui lisent régulièrement mes recensions de recueil de poésie, savent que je suis plutôt un admirateur de la poésie moderne, mais je dois avouer avoir vraiment été «touché», par cette poésie, toute en ferveur, avec ses nombreuses allusions à Dieu et à l’amour et avoir pris beaucoup de plaisir à lire ces sonnets.

Comme toujours, laissons maintenant la parole à la poétesse :

Sonnet 43 :

Comment je t’aime? Laisse m’en compter les formes.
Je t’aime du fond, de l’ampleur, de la cime
De mon âme, quand elle aspire invisible
Aux fins de l’Être et de la Grâce parfaite.
Je t’aime au doux niveau quotidien du
Besoin, sous le soleil et la chandelle.
Je t’aime librement, comme on tend au Droit ;
Je t’aime purement, comme on fuit l’Éloge.
Je t’aime avec la passion dont j’usais
Dans la peine, et de ma confiance d’enfant.
Je t’aime d’un amour qui semblait perdu
Avec les miens – je t’aime de mon souffle
Rires, larmes, de ma vie! – et, si Dieu choisit,
Je t’aimerai plus encore dans la mort.

Avantage non négligeable, le recueil est en version bilingue, et chacun pourra donc se faire sa propre idée de la valeur de la traduction. Circonstance atténuante, comme il n’est jamais facile de faire une recension de poésie, je suppose qu’il est encore plus difficile de traduire de la poésie, et encore moins des sonnets je suppose…

Et le même dans sa langue originale lu de façon «inspirée», par Dame Judi DENCH (*1934) :
https://www.youtube.com/watch?v=qZ78X8K3IMw

XLIII

How do I love thee? Let me count the ways.
I love thee to the depth and breadth and height
My soul can reach, when feeling out of sight
For the ends of being and ideal Grace.
I love thee to the level of everyday’s
Most quiet need, by sun and candlelight.
I love thee freely, as men strive for Right;
I love thee purely, as they turn from Praise.
I love thee with the passion put to use
In my old griefs, and with my childhood’s faith.
I love thee with a love I seemed to lose
With my lost saints, - I love thee with the breath,
Smiles, tears, of all my life! - and, if God choose,
I shall but love thee better after death.