Cent mille ans. Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires
de Pierre Bonneau, Gaspard D'Allens, Cécile Guillard (Scénario et dessin)

critiqué par Poet75, le 19 avril 2021
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Un projet dément
Connaissez-vous le scandale de l’enfouissement des déchets nucléaires? Le voici exposé dans une bande dessinée, ce qui ne diminue en rien ni le sérieux ni la crédibilité de l’enquête menée par Gaspard d’Allens et Pierre Bonneau, enquête d’ailleurs étayée par un grand nombre de documents proposés en annexe de l’ouvrage. Quant à la mise en scène dessinée (et adroitement réalisée), elle a été confiée à Cécile Guillard.
Ce scandale de l’enfouissement des déchets nucléaires, plus énorme encore, me semble-t-il, que celui des algues vertes, mérite d’être relayé et exposé par tous les moyens. Car il s’agit, comme l’indique le titre de l’album, d’un projet à la fois pharaonique et totalement fou dont les répercussions dureront, pour le moins, cent mille ans. Ce chiffre, à lui seul, donne le vertige. Car comment peut-on prétendre garder une totale maîtrise d’un site d’une dangerosité énorme et terrifiante sur une durée aussi longue ? On peut tenir tous les discours rassurants du monde (et Dieu sait si les industriels de l’électricité ainsi que de nombreux politiques ne s’en privent pas), il est impossible, dans le cas présent, de faire des conjectures. Que peut-il se passer sur une durée de cent mille ans ? Qui a la prétention de le savoir ?
Car enfin, il faut dire les choses comme elles sont, sans se payer de mots, c’est une véritable bombe à retardement qu’on s’apprête à enfouir dans des galeries creusées dans la roche argileuse à 500 mètres sous terre sur 270 kilomètres de long s’étendant dans les départements de la Meuse et de la Haute-Marne autour de la commune de Bure. Ce projet titanesque, coûtant entre 25 et 35 milliards d’euros devrait être mis en service à partir de 2035, mais le chantier complet durerait 130 ans. Il va sans dire que les départements de la Meuse et de la Haute-Marne n’ont pas été choisis au hasard : ils comptent parmi les moins peuplés de France et il y a fort à parier que l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaires) a conjecturé du peu de résistance de ses habitants.
Par ailleurs, depuis des années, l’ANDRA n’a cessé de multiplier les initiatives visant à amadouer les gens du cru. À coups de subventions pharamineuses accordées à des communes qui n’en continuent pas moins de se désertifier, d’opérations de séduction de toutes sortes et, bien sûr, du soutien inconditionnel du sénateur Gérard Longuet, l’homme politique implanté dans ce secteur, les industriels du nucléaire ont pu croire que l’affaire était dans la poche. Heureusement, ce n’est pas si simple. Certes, les politiques, dès qu’ils détiennent un portefeuille quelconque, ont comme une fâcheuse tendance à apporter leur soutien au projet insensé de Bure, quitte, pour certains d’entre eux, à retourner leur veste. Nicolas Hulot lui-même s’y est laissé prendre, durant son bref mandat de ministre de l’écologie. Quant à Emmanuel Macron, depuis son arrivée au pouvoir, non seulement il a maintenu le projet de Bure, mais il a également, semble-t-il, durci la poursuite et la répression de ses opposants.
Car, il faut le dire avec soulagement, malgré les tentatives de séduction de l’ANDRA, malgré le laisser-faire affiché par une majorité de politiques, sur le terrain, mais aussi partout en France, les comités s’opposant au projet de Bure se sont multipliés, au risque d’une répression, comme je l’ai déjà indiqué, de plus en plus brutale et totalement indigne d’un pays comme la France. Osera-t-on encore se targuer d’être la patrie des Droits de l’Homme quand ceux-ci sont si facilement bafoués ? La ligue des Droits de l’Homme, précisément, dans un rapport de juin 2019, écrit : « … les autorités publiques se livrent à un harcèlement contre les opposants au site d’enfouissement destiné à criminaliser leur position et leur manifestation et qui a pour effet de porter atteinte aux libertés individuelles. »
Heureusement, la détermination des opposants ne faiblit pas. La lutte se réinvente. Et elle est nécessaire si nous ne voulons pas léguer aux générations futures une bombe à retardement d’une dangerosité potentielle de cent mille ans. Cette bande dessinée, qui expose avec clarté tous les éléments, toutes les facettes, d’un projet démentiel, devrait nous en convaincre, si ce n’est déjà fait.