Deux garçons sans histoire
de Marc Desaubliaux

critiqué par Mimi62, le 11 avril 2021
(Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans)


La note:  étoiles
Un livre non pas à déguster mais à laisser infuser en soi
Un livre dominé par la recherche d'absolu dans tout ce que vivent ces adolescents en devenir, sur ce que cet absolu devient dans la vie adulte, un livre à lire... ABSOLUMENT.
Cela faisait longtemps qu'un livre ne m'avait pas emporté au bout de la nuit, que ses personnages ne m'avaient accompagné des jours durant après l'avoir fermé.
Je suis infiniment heureux d'être parcimonieux dans mes attributions d'étoiles et de ne garder les 5 étoiles que pour commenter un livre rare.

L'auteur évoque avec tact, subtilité et cependant intensité, les tourments de ces êtres ou bouillonnent les découvertes du sentiment amoureux, du désir, de la passion, de la sensualité, de l'envie d'absolu, de la confiance, de l'exclusivité, du partage, du bonheur d'être à deux.
L'obsession des conventions, l'incompréhension, le refus d'écoute, la maltraitance morale en sont d'autres composantes. L'influence de ces moments de l'adolescence sur la vie adulte sont un autre point fort de ce récit

La délicatesse, la subtilité commencent dès le titre, avec l'emploi du singulier dans une expression habituellement au pluriel. Il annonce parfaitement la préoccupation majeure, unique même, d'enfants lisses, parfaitement modelés et le fait que ces enfants ne pourront pas vivre leur histoire.

Au-delà de la situation évoquée dans ce récit, les thèmes abordés sont quasi universels et intemporels : l'acceptation de l'autre, l'acceptation d'une différence par rapport à soi, le poids des traditions, l'importance de l'humain.
En cela, ce roman présente une sorte d'universalité et par conséquent s'adresse à tous.

J'ai rarement mis autant de temps à rédiger une critique, ne voulant pas trop dévoiler le contenu et essayant d'être à la hauteur de la qualité de l'ouvrage.

Un livre non pas à déguster car cela n'est pas compatible avec l'intensité dramatique mais à laisser infuser en soi.
Une lecture qui ne peut laisser indifférent.

Je propose ci-dessous une critique plus détaillée et, plus loin encore, quelques citations pour illustrer mon propos.

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A la suite de cette brève critique, je vous en propose une plus détaillée. J'ai tâché de ne pas trop dévoiler le ressort du récit mais peut-être y trouverez-vous des indices susceptibles de vous dévoiler certains éléments.
A vous de décider de la lire ou pas.




Un thème pouvant apparaître comme déjà connu selon certains probablement. N'est pas Montherlant ni Peyrefitte qui veut argueront certains.
Cela est vrai mais le fait est que sur une trame apparemment commune, le traitement est différent et la référence aux deux auteurs en question est justifiée, l'auteur n'ayant pas grand chose à leur envier.

L'époque diffère, l'angle de traitement est davantage accentué sur le vécu des garçons que sur la relation elle-même, l'ingérence venant des parents et non de l'encadrement religieux. De plus, le récit se poursuit dans la vie adulte en évoquant les incidences de ces approches.

L'envie d'absolu est certainement ce qui caractérise profondément Sébastien, l'aîné de cette relation. A la différence des romans précédemment cités, c'est cette quête, ce besoin viscéral même, ce respect de l'autre, cette sincérité dans les sentiments ainsi que dans ses désirs qui le conduiront à se révéler à l'autre monde, celui des adultes. L'un des acteurs de cette relation devient alors le responsable de cette évolution non souhaitée illustrant son honnêteté morale et traduisant la force du sentiment porté à l'être aimé. Tout dans son comportement est guidé par ces principes. Lorsqu'il ose dévoiler ses sentiments à Jean-Denis, il se met en danger, ne cherchant pas des voies détournées.
Pour le cadet, Jean-Denis, ces sentiments sont juste devant lui, il ne les connait pas encore. En venant vers lui, Sébastien catalysera cet accès en l'accompagnant de ses nobles valeurs. Jean-Denis s'y retrouvera et enrichira cette relation.
Amitié, amour, tendresse, désir, sensualité, partage, joies simples composent ce qui les fait se rapprocher tant par le coeur, l'esprit que le corps, constituant un tout ne demandant qu'à devenir harmonieux, source d'épanouissement ne présageant nullement de leur cheminement adulte tout en lui donnant des bases solides.

Bien que se déroulant dans un contexte d'établissement religieux, leurs responsables n'ont qu'un rôle très mineur dans le déroulement, l'important étant la rigueur de cette philosophie dont les parents, essentiellement voire uniquement les pères, ont été imprégnés dans leur jeunesse. La destruction cette fois est le résultat de l'attitude des parents, des parents convaincus d'agir pour le bonheur de leur enfant, toujours en se référant à une certaine philosophie, sans s'interroger sur le bien-fondé de cette dernière. Nous sommes juste après 68, mais ces familles sont encore dans l'esprit des décennies précédentes. Le rôle des pères consiste à transmettre une image rigoureuse et lisse. L'être humain, sa construction, l'aide à son développement n'ont pas leur place. Il existe un moule et il faut que leur progéniture entre dans ce moule, il faut qu'elle se transforme, s'adapte, même s'il faut pour cela la déformer, la maltraiter, la blesser, la détruire.
La description de cette destruction inéluctable est l'un des multiples points forts de ce roman.

L'un des autres aspects intéressant de ce roman réside dans le fait qu'il se prolonge dans la vie adulte et narre les conséquences de ce vécu, le devenir de ces passions, de ces besoins d'absolu. Il fait partager les séquelles de cette maltraitance.
De même il expose la nature du rôle initiatique et non déterminant de telles expériences. L'auteur sous l'aspect d'une simple remarque précise bien l'importance du contexte uniquement masculin. Il ne condamne ni de défend ce contexte mais il en souligne l'influence réel et évoque par conséquent la responsabilité de ceux qui ont institué ce type de fonctionnement.
A ma connaissance il n'existe pas de semblables romans sur un milieu exclusivement féminin.
De même je n'en connais pas avec une telle trame dramatique concernant un milieu mixte. il existe bien "Mourir d'aimer" pour évoquer de type d'amour mais ce qui est le ressort du drame concerne les âges et non plus les sexes.

La délicatesse, la subtilité commencent dès le titre, avec l'emploi du singulier dans une expression habituellement au pluriel. Il annonce parfaitement la préoccupation majeure, unique même, d'enfants lisses, parfaitement modelés et le fait que ces enfants ne pourront pas vivre leur histoire.

Une écriture délicate également, poétique même par moment, souple, qui reflète parfaitement ce que ressentent ces deux jeunes adolescents.
Il est alors d'autant plus dérangeant, voire choquant, de voir utilisée systématiquement la structure "malgré que", l'usage de la langue soignée exige un substantif après cette préposition. De même pour l'utilisation, à plusieurs reprises, de la structure "j'ai été + verbe", confondant un verbe d'état et un verbe d'action, fusionnant les verbes être et avoir. Ces erreurs ne sont pas de l'usage unique de cet auteur, mais au milieu d'une telle délicatesse, cela apparaît comme un énorme furoncle sur le nez de Jean-Denis.

J'ai certainement particulièrement été touché par cet écrit car il a plongé au plus profond de ma sensibilité, de mes souvenirs et a réveillé certains vécus douloureux pas nécessairement identiques dans les faits mais dans les vécus.

Un livre qui va prendre place sur ma bibliothèque virtuelle des mes coups de coeurs, cette bibliothèque que l'ion emmènerait sur une île déserte, à côté, entre autres, de "Jonathan Livingston le goéland". Des histoires a priori sans rapport amis partageant quand même cette quête d'un absolu.
Selon vos convictions, vous pourrez être emportés, mis mal ou éprouver du rejet mais cette lecture ne vous laissera pas indifférents et ne peut qu'interpeler sur notre relation à autrui.

Bonne lecture !

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Pour être honnête pour restituer les moments intenses que m'a réservés ce livre, il m'aurait fallu le recopier en entier. Je me suis contenté de quelques passages.


La jolie frimousse de Jean-Denis s'en vient harceler sa raison avec une puissance décuplée.
Vautré sur son lit, les yeux absorbés par cette flamme redoutable qui se nourrit déjà de son énergie alors que la silhouette mal apprise par sa mémoire se dilue chaque seconde, ressurgissant d'une manière fortuite avant que de se perdre une fois encore dans les flots de l'oubli.

Il sera un adulte, comme son père, "pour de vrai". Enfin, il se doute que cela se produira, mais dans un temps très lointain. Et malgré son aspect extérieur qui fuit chaque jour un peu plus son enfance, ses pensées et son coeur demeurent du côté des plus jeunes.

A vouloir livrer trop de batailles à la fois, il n'arrive plus à résister sur tous les fronts. Le courage et l'entrain lui manquent. Alors, il cède sur ce qui lui semble le plus méprisable, justement tout ce qui lui tient à coeur, tandis que son énergie s'épuise à tenter de demeurer dans la moyenne.

Le garçon passe son temps à éteindre le feu qui couve en lui, croyant naïvement que pour conserver l'amour de ses parents , il doit s'étouffer, se transformer en un être pâle et sans relief.

... pour la première fois son sourire lui est offert, ce sourire un rien endeuillé par une petite cicatrice.

Et puis il décide de sortir de la maison et de charger sa solitude sur le porte-bagages de sa bicyclette.

Hugues et Sébastien s'ignorèrent... Les mères ne paraissaient pas s'inquiéter de la séparation des enfants. Il n'y avait pas de haine entre eux. Même pas de l'indifférence. Ils n'avaient plus besoin l'un de l'autre.

La présence de son fils à l'hôpital m'a donné l'envie de le voir. [...]
Malgré la force de mon désir, je résiste à la tentation car le temps, l'âge, les blessures de la vie me mettront en présence d'un homme méconnaissable. Bien pire qu'un étranger. Ayant quitté un adolescent, je me trouverai en face d'un inconnu, une sorte de traitre.

J'ai peur de vieillir, non pas à cause du ravage des années, mais parce que cela m'éloigne de ma jeunesse.
Des risques des amours inhabituelles 8 étoiles

Au sein d'un lycée catholique pour garçons, dans une province française des années 1970, Sébastien, élève de troisième, voit son attention attirée par un autre de quatrième, Jean-Denis, sans qu'il puisse immédiatement s'expliquer pourquoi. Puis la raison s'éclaircit à son esprit, mais il se doit de la garder pour lui. Quand Jean-Denis devient victime d'une rixe, le hasard de la circonstance lui permet de l'accompagner à l'infirmerie et de faire officiellement sa connaissance. Puis les choses s'emballent entre eux, ils se revoient et se fréquentent en secret, pensent régulièrement l'un à l'autre ; puis leur amitié privilégiée peut à tout moment être percée à jour, au risque de créer un scandale ou un drame, ce que je vous laisse découvrir.

La teneur de la trame narrative est décrite de manière claire, fine et suffisamment détournée pour rester pudique. Elle est traitée de manière assez fine, expose les ravages potentiels de l'exclusion de ce qui diffère de l'ordinaire, de formes de rejet sectaire. Ce roman sensible fait réfléchir positivement.

Veneziano - Paris - 46 ans - 15 avril 2021