Encabanée
de Gabrielle Filteau-Chiba

critiqué par Cyclo, le 13 mars 2021
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
"Confinement" en forêt arctique
Dans son roman "Encabanée", la Québecoise Gabrielle Filteau-Chiba relate du 2 au 10 janvier, quelques jours d'un hiver froid de la vie en solo de la narratrice, Anouk, qui a quitté Montréal pour s'installer en pleine forêt dans la région de Kamouraska, dans une tentative de fuir une vie devenue superficielle et consumériste : "toutes ces choses qui font le mirage d’une vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu’il donne le vertige".

Mais comment survivre dans un froid intense, comment se prouver à soi-même que la solitude et la précarité peuvent lui sauver la vie ? Elle médite, elle écrit, elle lit, elle va chercher du bois pour chauffer la cabane et faire fondre les chaudières (seaux) de neige pour avoir de l’eau chaude : qu’est-ce "qui t'a poussée à t'encabaner loin de tout", note-t-elle dans les listes qu’elle dresse pour reprendre prise avec elle-même. Son "rêve de toujours: vivre de ma plume au fond des bois". L'arrivée d’un gros chat, puis de Rio, un métis fuyant la police et cherchant refuge (je vous laisse découvrir la cause qu’il défend), va lui permettre de trouver une chaleur sociale bienvenue… Malgré leur séparation définitive, "Ma vie reprend du sens dans ma forêt", écrit à la fin Anouk dans son journal.

Voilà donc un roman, écrit dans une langue québécoise savoureuse (on trouve en fin de volume un glossaire de certains mots et expressions), qui nous éclaire encore sur le confinement, même s’il s’agit d’un confinement volontaire, mais quelque peu subi aussi. À la fin, la narratrice trouve du sens à sa vie : " Enfin, j’avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale : me dévouer à la protection de la nature, corps et âme". J'ai passionnément aimé.
Court mais impressionnant 8 étoiles

Voilà un petit livre, court, pas plus de 128 pages dans la version poche, mais qui dégage assez de puissance pour en être impressionné. Surtout dans la première partie du livre, où l’héroïne se raconte, seule, dans sa cabane, en plein hiver québécois (hiver bien plus arctique que nos contrées). Elle y explique pourquoi elle a choisi de s’exiler volontairement dans cette cabane, en plein nature, loin de tout (ou presque), avec ses doutes, ses certitudes, ses découragements, quittant une vie dite « moderne » avec tout son confort, mais que la mentalité de la société montréalaise dans laquelle elle était née et avait grandie, toute tournée vers le consumérisme et la productivité au mépris des valeurs humaines et de l’écologie révulsait. Pourtant, il peut y avoir loin de l’idéal à la réalité, surtout quand cette réalité à laquelle la narratrice s’astreignait de vivre, celle du retour à la nature, se révèle rude et sans concessions, exposant sa santé et sa vie même aux limites supportables des rigueurs de cette même nature, qui n’est ni amie ni ennemie, mais à laquelle il faut savoir s’adapter, et pour cela faire preuve de courage, d’acceptation, de détermination. La narratrice n’en manque certes pas, mais que la solitude extrême de l’hiver québécois met à rude épreuve. Puis un chat venu d’on ne sait où trouve refuge dans sa cabane, et lui devient un premier appui contre la solitude glacée qui l’environnait de toutes parts, corps et âme. Et ce sera ensuite le tour d’un homme, réfugié lui aussi dans sa cabane. Cette dernière rencontre, de courte durée, lui permettra de donner un sens plus clair à ses convictions qui l’avaient amenée à cette cabane, plutôt confus jusqu’alors, et l’orienteront dans un idéal plus concret où elle se voit pouvoir engager dans l’action ses convictions féministes et écologiques.

Ce livre nous est donné à lire par une auteure originaire du Québec, que je ne connaissais pas du tout jusqu’alors, qui m’a agréablement surpris et que je salue ici, écrite dans la langue française propre à cette contrée, cousine de la France, qui est qualifiée souvent de « savoureuse », avec la condescendance à peine dissimulée d’une grande sœur pour son petit frère et que pour ma part, je ne cautionnerai pas, ayant déjà visité et apprécié le Québec et ses habitants. Donc certains mots, tournures et expressions propres à la langue québécoise peuvent ne pas être compris par les locuteurs français dont je fais partie, mais on pourra se reporter à un glossaire placé à la fin du livre.

Dans tous les cas, un livre qui ne sera pas une perte de temps à lire, non seulement pour sa brièveté mais aussi pour son propos.

Cédelor - Paris - 52 ans - 26 juillet 2024