Al Andalous l'invention d'un mythe: La réalité de l'Espagne des trois cultures
de Serafin Fanjul

critiqué par Vince92, le 15 novembre 2021
(Zürich - 46 ans)


La note:  étoiles
Déconstruire le mythe de l’Espagne des trois cultures
Dans un soucis de relativisme historique, il s’est développé en Espagne et en Europe le mythe selon lequel l’invasion de la péninsule ibérique par les Musulman au huitième siècle aurait conduit non seulement à une prospérité économique mais aussi à un épanouissement culturel voire civilisationnel de premier plan jusqu’à ce que les Barbares chrétiens achèvent leur reconquête, imposent leur intolérance religieuse et expulsent les derniers représentants de la religion de paix et d’amour.
Dans ce long essai, qui est la réunion (expurgée) pour le lectorat français de deux livres, Serafin Fanjul, un islamologue reconnu de l’Université espagnole s’attache à démontrer que ce rêve d’une civilisation particulière, harmonieuse et échappant aux affres de l’intolérance s’avère en réalité une chimère. Dans cet essai de plus de six cent pages, l’auteur démontre que tous les poncifs véhiculés par le goût des voyageurs européens, les intellectuels musulmans voire les écrivains espagnols eux-mêmes sont largement faux ou tout du moins à relativiser.
Tout d’abord, sur le fait que l’Espagne et le Portugal aient vu un changement de population significatif est faux : seuls environ 40 000 combattants ont accompagné l’invasion musulmane et défait l’ancien royaume wisigothique : l’occupation musulmane ne s’est jamais accompagné par une colonisation de peuplement. La conquête musulmane s’est effectuée sur les bases d’un pourrissement de l’ancien ordre politico-social renforcé par le fait que se convertir octroyait un statut très avantageux aux anciens Chrétiens et aux Juifs.
L’influence arabe (terme usurpé, les occupants étant majoritairement berbères…) dans le pays est largement usurpée même si la période d’occupation musulmane s’étire de 711 à 1492 : mœurs, toponymie, art culinaire, architecture, langue, dans tous ces domaines réputés colonisés par l’influence musulmane, Fanjul démontre la totale absence de fondement à ces thèses et l’inculture des pseudo-intellectuels qui propagent des contre-vérités. C’est ainsi par exemple qu’il démonte sur un chapitre entier le mythe selon lequel le flamenco devrait son existence à la culture musulmane, ou que dans un autre chapitre il décortique la toponymie du pays qu’on pourrait abusivement tirée de l’arabe mais qui découle en réalité du latin, du germain ou des langues vernaculaires.
Fanjul s’attache enfin et plus particulièrement à relativiser les expulsions des Morisque au XVI e. siècle. Ces expulsions qui pourraient de prime abord apparaître cruelles et injustifiées s’inscrivent au contraire dans l’urgence politique de l’époque. Véritable cinquième colonne d’un ennemi (L’Islam conduit en premier lieu par l’Empire turc) décidé à abattre la Chrétienté, les anciens musulmans ne voulaient pas s’intégrer au nouvel ordre né de la Reconquête chrétienne : aidant les raids barbaresques sur les côtes du Levant, fomentant des révoltes comme la fameuse révolte des Alpujarras, les rois d’Espagne ont jugé qu’il leur fallait expulser ces sujets qui se réclamaient plus de l’ennemi que de leur autorité.
Ouvrage qui remet les pendules à l’heure, Al Andalous, le mythe de l’Espagne des trois cultures, pêche parfois par le ton qu’adopte son auteur… A côté des démonstrations implacables, Fanjul se laisse à invectiver ses opposants mélangeant parfois allègrement les genres de l’essai et du pamphlet. Par ailleurs, la construction un peu « artificielle » de l’ouvrage en français par la réunion de deux ouvrages distincts conduit parfois à des répétitions malencontreuses, mais, dans l’ensemble, le livre atteint son but : faire exploser les contre-vérités historiques qui polluent le débat actuel sur l’intégration, le multiculturalisme ou l’apport culturel de l’Islam dans notre civilisation.