Les Barbaresques
de Jacques Heers

critiqué par Vince92, le 13 février 2023
(Zürich - 47 ans)


La note:  étoiles
Fléau de la Méditerranée
Le livre de Jacques Heers, éminent historien spécialiste de la Méditerranée et de l'Italie cantonne son étude du phénomène barbaresque à la période allant du XIV au XVIème siècles. Cependant, la guerre de course par des flibustiers partant des côtes africaines contre les marines de commerce des Etats européens s'est perpétuée jusqu'au début du XIXème siècle (c'est même la principale raison qui a fait qu'en 1830 la France débarque sur le territoire de la Régence d'Alger). Le choix de Jacques Heers s'explique, sans qu'il précise le choix des bornes de son étude, sur le fait que la guerre de course a connu son summum au cours de ces années, notamment lorsque les frères Barberousse (Arouj, puis Khayr al-Din), ont écumé les mers tyrrhéniennes et de la méditerranée orientale, arme du Sultan turc contre les cités-Etats italiennes, la Papauté et le royaume d'Espagne.
Dans ce livre, complet sur la question mais qui, et c'est ma principale critique de l'ouvrage, ne présente pas une étude systématique, (le lecteur manque de chiffres, de tables pour comprendre l'ampleur du phénomène de la guerre de course barbaresque sur la période) Jacques Heers distingue plusieurs périodes, trois essentiellement, puis place une focale sur deux aspects particuliers de cette guerre: la question des esclaves et celle de la "propagande".
Trois périodes donc, celle antérieure à l'arrivée des frères Barberousse sur le théâtre méditerranéen, dominée par la piraterie maure, celle antérieure à la bataille de Lépante (1571), au cours de laquelle on a assisté à une intensification significative de la piraterie et des actes de guerre et celle après cette bataille, véritable tournant dans la géopolitique de la région. Les frères Barberousse et leurs successeurs ont joué un rôle prépondérant dans la lutte que la Sublime Porte a porté face aux puissances occidentales de l'époque. Car c'est clairement un aspect de la stratégie turque de que de porter le fer face au commerce italien et espagnol, ravager les côtes occidentales et réduire en esclavage les populations chrétiennes insulaires et des bandes côtières. Les principales victimes de cette guerre qui ne dit pas son nom et est déléguée aux corsaires barbaresques sont les habitants de la Méditerranée occidentale: les Barbaresques, qui étaient en majorité des renégats chrétiens en majorité au service du Sultan de Constantinople ont fait peser sur le commerce et les infrastructures économiques une menace qui a détourné des ressources importantes de la part des Etats chrétiens au point de créer dans la seconde moitié du XVIème siècle La Sainte Ligue qui aura raison de la menace ottomane dans les eaux de la Grèce, à Lépante en 1571. Certes, la menace restera présente mais ne sera plus aussi importante qu'au temps des Dragut et Barberousse.
Après avoir retracé l'histoire de cette longue guerre, l'étude de Jacques Heers se veut plus politico-sociale en examinant la question des esclaves, leur conditions de vie, l'économie du trafic, les possibilités de rachat par la famille ou les ordres religieux dédiés à cette tâche. Enfin, le livre se conclut par les aspects de propagande et de terreur que la menace barbaresque a fait peser sur les relations entre Orient et Occident.
Le livre n'est pas désagréable en soi: on y apprend beaucoup de choses, il est remarquablement écrit mais malheureusement, bien qu'il tende à l'exhaustivité, le lecteur ne saisit pas les grandes tendances de la menace barbaresque ce qui fait qu'au final on est un peu submergé par les informations sans pour autant comprendre. J'avais déjà remarqué cette tendance que Jacques Heers avait de mélanger l'analyse à l'exemple dans son livre sur les guerres d'Italie (Histoire oubliée des Guerres d'Italie-Via Romana). La multiplication des exemples et anecdotes ne fournit malheureusement pas un cadre d'analyse très rigoureux et je renouvèle ma critique selon laquelle il manque à ce livre la présence de données chiffrées, de cartes et d'autres outils pour saisir l'ampleur du phénomène barbaresque.