Le prisonnier
de Pierre Rosenthal, Michel Riu (Dessin)

critiqué par Eric Eliès, le 26 décembre 2020
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Un livre-jeu en huis-clos conçu comme un redoutable casse-tête
Ce livre très singulier, qui fut longtemps presque introuvable car publié à peu d’exemplaires à la fin des années 80 tandis que commençait à s’étioler la passion du jeune public pour les « livres dont vous êtes le héros », est un véritable tour de force, à la fois objet littéraire interactif et redoutable casse-tête.

Il s’agit du troisième tome de la série "missions spéciales » (dont les deux premiers tomes ont été écrits par d’autres auteurs) mais il est en fait totalement autonome et ne s'insère dans la série que via un petit artifice qui consiste à le présenter comme une punition infligée pour un échec lors d'une mission précédente. Dans la série, nous incarnons un agent secret travaillant pour le compte d’une organisation secrète mais, dans ce tome qui reproduit l’ambiance mystérieuse et oppressante de la série « Le prisonnier », nous sommes un simple captif numéroté, retenu prisonnier dans un centre fermé. On nous a fait respirer un gaz qui provoque une amnésie immédiate puis, peu à peu, la folie… Nous comprenons que nous avons une semaine pour nous échapper mais aucun indice ne nous est donné vers une issue possible. En fait, l’histoire se résume à tourner en rond, de jour en jour et d’heure en heure, en visitant les divers lieux à notre disposition (salle de sport, salle de spectacle, jardins, bazar, hôpital, bibliothèque, restaurant, etc.). L’innovation géniale de ce livre en total huis-clos, qui comporte 448 paragraphes, est d’associer à chaque lieu un tableau d’évènements (rencontre, incident, etc.) se produisant selon le jour et l’heure. Le décompte du temps est essentiel dans le livre, ce qui procure à cet univers une sensation incroyable de densité, de cohérence et de profondeur, y compris de profondeur psychologique. Les évènements dévoilent progressivement la nature et les rouages du lieu où nous sommes enfermés, nous permettant d’interagir avec d’autres prisonniers et d’échafauder des stratagèmes pour nous enfuir. Pierre Rosenthal a commis peu de LVDH mais a toujours soigné la jouabilité, qui atteint ici un sommet. Le lecteur ne se sent nullement guidé ou contraint dans ses choix par l'arbitraire de l'auteur : tout s'enchaîne parfaitement, avec une logique implacable et mystérieuse qui s'inspire fortement de la série TV éponyme.

Mais, là où l’auteur est vraiment retors, c’est que tous les indices qu’il nous donne, aussi judicieux et difficiles à obtenir soient-ils, ne sont que des pièges et des leurres, ce qui suscite rapidement un fort sentiment de frustration. Cette aventure a été conçue comme un véritable casse-tête et s'avère, en tant que tel, une incontestable réussite. Il existe pourtant bel et bien un moyen de s’échapper mais il est tellement, à la fois, génial et vicieux, que je ne le dévoilerai pas pour ne pas gâcher le plaisir d’un éventuel lecteur qui viendrait à tomber sur cette notule ! Néanmoins, j'avoue que jamais je n'avais ressenti, sauf dans le labyrinthe du Sorcier de la Montagne de Feu où je m'étais égaré pendant des jours quand j'avais 8-10 ans, une telle exaltation en découvrant le chemin tortueux menant à la sortie...

Pierre Rosenthal avait déjà écrit Perceval le Gallois, que j’ai également présenté sur CL. Il est très dommage qu'il n'ait pas écrit davantage de LVDH car il n'a jamais rien écrit d'inintéressant (y compris dans Casus Belli) ; si Gallimard l'avait sollicité et lui avait donné l'opportunité de pleinement s'exprimer, je pense qu'il aurait pu nous donner quelque chose d'incroyable. Je considère que Pierre Rosenthal est, avec Joe Dever et le duo Mark Smith/Jamie Thomson, le meilleur auteur de LVDH grâce à sa qualité d'écriture, qui parvient à installer une ambiance, et à sa capacité à inventer des mécanismes totalement jouables qui renouvellent le concept.