Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs
de Mathias Enard

critiqué par Alma, le 29 décembre 2020
( - - ans)


La note:  étoiles
Hénaurme !!
Bien difficile de faire le bilan d'une lecture dont je suis finalement sortie satisfaite, après être passée par des phases d'intérêt, de plaisir littéraire, mais aussi des moments de vertige ou d'égarement. .
Tentons à présent de traduire les étapes de cette «  douche écossaise » !!

Le personnage principal du roman : David Mazon, anthropologue parisien est chargé, pour les besoins de sa thèse, de mener une enquête ethnographique dans une petite commune des Deux Sèvres : La Pierre Saint Christophe, dont il découvre progressivement les habitants .
Le roman s'ouvre sur le journal de bord qu'il rédige dès son arrivée, texte factuel de 70 pages qui couvre une période de un mois, celle de la prise de contact .
Signalons que ce journal ne sera repris qu'après 10 mois d'interruption et après 250 pages, dans la partie 7, la partie finale où se clôt l'intrique romanesque amorcée dans les premières pages .

LE BANQUET ANNUEL DE LA CONFRERIE DES FOSSOYEURS est un roman à la construction déroutante dont on découvre progressivement les règles en cours de lecture .
Une construction de forme concentrique dans laquelle 6 parties entourent une partie centrale, la quatrième, un morceau de bravoure qui donne son titre au roman .

Que se passe-t-il donc entre temps,dans ces parties 2et 3, puis 5 et 6 ?
On y retrouve par moments certains des personnages du village mais reliés et entremêles étroitement à ceux d'un passé lointain par la croyance en la réincarnation des âmes qu'annonce la phrase en exergue du roman «  Dans nos nos existences antérieures nous avons tous été pierre, rosée, vent …...tortue, oiseau ou mammifère »
J'ajouterai que, entre chacune de ces parties, Mathias Enard glisse quelques pages qu'il intitule Chanson qui relatent une anecdote qui renvoie à une chanson du répertoire populaire.

Une architecture savante et quelque peu déconcertante, vous en conviendrez, qui mêle et entrecroise époques et situations.

Mais qu'en est-il, me direz-vous, de cette partie 4 : Le banquet de la confrérie des fossoyeurs ?
Certains des membres de cette confrérie exercent leurs fonctions dans la commune dont le maire est à la tête d'un entreprise de pompes funèbres .
Il a cette année l'honneur et le privilège d'accueillir dignement «  croquemorts, fossoyeurs, enterreurs, thanatopracteurs » membres de cette confrérie représentant toutes les régions de France .
La tradition impose qu'on fasse bombance autour d'un banquet gargantuesque où alternent ingestion de force denrées solides et liquides . On y bâfre, on s'y rince les dalles assoiffées, on y chante, on y roule sous la tables.
Un morceau de choix dans le roman où le lecteur revisite l'univers de Rabelais. Il y retrouve , adaptés au contexte du banquet, des allusions à Gargantua, à Badebec, à l'abbaye de Thélème . Mathias Enard a su s'approprier la « substantifique moelle » de l'écriture rabelaisienne, la pasticher habilement . Tout y est « hénaurme » !
Ceux qui connaissent Rabelais se retrouveront dans l'univers de « Maître François », mais il se pourrait aussi que d'autres tournent rapidement les pages de cette partie..... Pour ma part, je l'ai trouvée jubilatoire d'un point de vue littéraire, j'en ai dégusté les énumérations , les accumulations, les hyperboles.

Ce fut une parenthèse bienvenue après les parties 2 et 3 dont la teneur historique m'a paru plutôt pesante et les allers retours entre passé et présent un peu étourdissants. ( les parties 5 et 6 reprennent d'ailleurs ce schéma ) On y voit passer, depuis l'époque des Carolingiens jusqu'à l'époque moderne, grand nombre de Poitevins, certains glorieux ou récurrents comme Agrippa d'Aubigné : le « poète guerrier » ou des personnages de la commune dont les âmes auraient émigré, par le biais d'animaux jusqu'aux actuels habitants du village.
Je dois avouer que ces constants allers-retours entre passé et présent m'ont donné le tournis , ne sachant plus qui était relié à qui et par l'intermédiaire de quel animal.... ….
J'ai apprécié ensuite que la partie 7 me ramène plus sobrement à La Pierre Saint Christophe actuelle, au personnage de David, l'anthropologue, aux liens qu'il entretient avec les membres de la commune et au destin qu'il va se choisir.

Les talents de Mathias Enard sont ici multiples tant dans le grand nombre d'événements historiques relatés que dans la variété des tons employés . Il s'y révèle aussi à l'aise dans la démesure du banquet ou le grossissement des passages d'épopée guerrière, que dans la finesse descriptions multisensorielles des paysages brumeux des Deux Sèvres , région de son enfance, terre de marécages , de chasse et de pêche.

Un roman foisonnant, puissant, érudit, dont la richesse est liée aux nombreuses interactions textuelles qu'il entretient avec d'autres œuvres d'époques diverses ( citées souvent en référence) que l'auteur adapte, transforme, et qui interagissent pour tisser et ensemencer une oeuvre nouvelle.
Un roman qui m'est apparu comme l'équivalent littéraire d'un lieu que Mathias Enard évoque dans la partie 5 : la maison de l'écrivain Pierre Loti, à Rochefort, qui concentre en un même lieu des éléments de décoration appartenant à des époques et des civilisations différentes.
Un roman-monument qui mérite une visite  !
Quel titre, quel livre ! 8 étoiles

David Mazon, ethnologue, choisit un village des Deux-Sèvres pour y passer une année afin de rédiger une thèse sur la ruralité à La Pierre Saint Christophe.
Il rencontre, interroge, noue des liens avec les habitants du village, dont Mathilde et Gary, agriculteurs et propriétaires du logement qu’il occupe, Martial Pouvreau, maire et fossoyeur du village, Lucie, une jeune agricultrice bio, qui s’occupe de son grand-père grabataire et libidineux et de son cousin Arnaud handicapé, ainsi que Max, Maximilien Roure artiste plasticien très atypique, sans oublier un couple de retraités anglais.
Et pour s’immerger dans la vie d’un village, quoi de mieux que de prendre ses habitudes à l’unique bar le Café-pêche. Il découvre, surpris, un monde où se mêlent traditions et modernité, où les habitants sont presque tous des amis d’enfance, connaissant (ou taisant) les histoires locales.
Plus les semaines passent, plus il s’éloigne de sa vie "d’avant".
Le récit est rythmé, drôle, les personnages aussi variés qu’intéressants.

Puis, grand changement, pour la seconde partie qui va s’intéresser aux passés des villageois et à leurs différentes incarnations au fil des siècles. Une façon originale et dense de découvrir l’histoire régionale, les grands personnages qui ont vécu ou traversé la région, de Clovis à Napoléon, sans chronologie dans les "voyages" des âmes.
"Arnaud lisait dans autrui à livre ouvert lui seul savait que son grand-père avait été, pêle-mêle, des métayers hommes et femmes, des filles de basse-cour, un braconnier errant, plusieurs chevreuils, un chien, des étourneaux... "
Toujours aussi drôle, truculent, et même iconoclaste.

Nous assistons ensuite au banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs présidé par le maire de Saint-Christophe, Martial Pouvreau.
Cette troisième partie nous emmène au pays de Rabelais où nous pourrons, entre autres, découvrir les spécialités culinaires d’ici et d’ailleurs, des récits incroyables de ripailles, aux fréquentes digressions ou intermèdes, remplis d’anachronismes savoureux.
Si les énumérations aux interminables phrases, des viandes, des 99 fromages et bien sûr, des vins, tous aux descriptions détaillées plus ou moins alléchantes selon le contexte, sont impressionnantes, elles deviennent parfois fastidieuses.
Même si j’y ai appris que le trou normand est loin d’être unique.
Tout ceci entrecoupé de discours polémiques comme la proposition de pratiquer des inhumations écologiques ou celle d’ouvrir la confrérie aux femmes.

Un roman dense, dans la digne lignée de Rabelais, foisonnant à en perdre parfois le lecteur, truculent. En un mot, impressionnant.

Marvic - Normandie - 66 ans - 3 mai 2021