Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : L'histoire en spectacle
de Laurence Des Cars, Dominique de Font-Réaulx, Édouard Papet

critiqué par Elko, le 22 novembre 2020
(Niort - 48 ans)


La note:  étoiles
Le lion de l'Académie
Jean-Léon Gérôme est une des nombreuses illustrations des aléas de la postérité : figure majeure de la peinture du XIXème siècle, il est aujourd’hui largement méconnu du grand public.
A l’occasion de la première exposition française rétrospective depuis sa mort, en 2010 au musée d’Orsay, l’édition de ce catalogue nous plonge dans l’œuvre d’un des artistes français les plus célèbres de son temps.

Gérôme s’inscrit dans la droite ligne académique dont il deviendra la représentation méprisée. D’abord chef de file du mouvement néo-grec, il touche à tous les domaines, des plus prestigieux avec la peinture religieuse, mythologique et historique, aux supposés moins illustres avec les portraits et surtout les scènes de genre. Il se distingue également dans la peinture orientaliste, inspirée pour partie de ses voyages d’études, et se lance tardivement dans la sculpture, principalement polychrome.
Gérôme allie à un dessin hyperréaliste une composition maîtrisée. Ces atouts seront autant d’armes que ses détracteurs retourneront contre lui, arguant entre autre que l’exactitude des éléments matériels ne suffit pas à « authentifier » une scène.
Ses œuvres sont faciles d’accès et surtout accrocheuses. Elles invitent à prendre un temps d’observation, à suspendre sa course. Il y a certes beaucoup à voir, que ce soit dans la multiplicité des images ou dans leurs détails, mais il y a aussi cette mise en scène parfois particulière avec une action hors champs ou à contre-temps. Sans compter l’impression de malaise qui peut habiter certains tableaux, où l’horreur côtoie le quotidien, où l’inexpressivité des personnages contraste avec l’émotion de la scène. J’aime également la lumière de ses tableaux orientalistes, ses ciels, ses contre-jours, ses êtres face à la nature ou à l’histoire. Il manque peut être de l’émotion et du mouvement, mais il y a une suspension et du voyage.

La grande célébrité de Gérôme peut surprendre au regard de son relatif anonymat d’aujourd’hui. Outre son talent et sa prolificité, d’autres raisons peuvent l’expliquer.
Premièrement il a gravi tous les échelons d’un artiste accompli de son époque, gagnant prix, commandes et titres. Il a peint pour les plus grands dont l’empereur, a été reçu grand officier de la Légion d’honneur et a longtemps enseigné à l’École des beaux-arts. Ce succès en a fait le symbole de l’académisme et donc l’a propulsé dans les polémiques artistiques de son temps.
Et la presse avec sa cohorte de critiques d’arts, les Salons, la naissance du mouvement impressionniste que Gérôme rejette, offrent une exposition médiatique inédite pour les artistes du XIXème siècle.
Pour terminer Gérôme a bénéficié de deux circonstances favorables : l’essor du marché international de l’art et l’invention de la photographie. Il a donc vu une diffusion sans précédent de ses œuvres, grâce au réseau marchand de son beau-père Adolphe Goupil et grâce à la reproduction par gravure et photographie de ses tableaux. Très apprécié du marché américain, c’est outre-atlantique que son héritage a perduré, alors qu’en Europe son image s’est considérablement terni après sa mort pour disparaître du paysage artistique.

Ce grand catalogue aborde l’œuvre de Gérôme par thèmes et place bien l’artiste dans les enjeux artistiques de son temps. Il est richement illustré et donnerait presque l’illusion d’exhaustivité. C’est un bel ouvrage, dommage que la reliure collée le rende fragile et donc délicat à la manipulation.