Cahier d'un retour de Troie
de Richard Brautigan

critiqué par Kinbote, le 13 août 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Les mots sont des fleurs de néant
C’est le dernier « écrit » (comme il aimait à qualifier ses productions) de Brautigan, publié 10 ans après sa mort, en français d’abord. Il avait tenu pour la traduction française que Troie figure dans le titre, alors que le titre original est « An infortunate woman ». L’ « infortunate woman » est une femme qui s’est pendue dans une maison de Berkeley dont nous ne saurons pas grand-chose. C’est aussi la femme, l’amie qui se meurt d’un cancer dont il nous apprend d’emblée le décès alors que sa mort intervient à la fin de la période couverte par le carnet, mais la fin et le début, tous les temps se télescopent, ne tiennent plus en place dans ce drôle de journal. C’est dire si les multiples voyages que l’auteur entreprend, de janvier à juillet 82, ne seront que des échappées provisoires, et que la « carte-calendrier » qu’il entreprend de suivre avec ce livre la chronique d’une double mort annoncée, celle de l’amie chère et, à plus longue échéance, la sienne propre. Un dernier tour de piste censé dissimuler dessous les pitreries une rivière de larmes. Le vieux clown ressort les vieilles ficelles. Qui prennent ici ces différentes formes... Une chaussure de femme neuve au milieu d’un carrefour d’Honolulu, une photo prise avec un poulet à Hawaii, la visite d’un cimetière de Honolulu avec une Japonaise, une gueule de bois à Anchorage, une scène de tribunal avec un lapin comme juré, la bringue dans l’Illinois avec le coucou d’un pendule martyrisant les tympans, une fracture de la jambe à San Francisco...
Brautigan qui mesurait 1m90 rapporte lors d’un plan de drague qu’il préfère déshabiller les femmes plus grandes et laisser se déshabiller les femmes plus petites car il peut ainsi regarder les plus grandes dans les yeux pendant l’effeuillage qu’il pratique de ses propres mains. Il parle longuement avec elle tout en buvant du whisky, puis soudain il lui demande de se déshabiller. En général, écrit-il, la femme commence à le faire et ils continuent ensuite à discuter comme si de rien n’était...
Enfin il a au téléphone son amie malade qu’il tente de réconforter. Il lui enverra un télégramme avec ces mots qui lui feront un bien fou : « Les mots sont des fleurs de néant. Je t'aime. »

Marc Chénetier (le traducteur et ami) écrit dans son avant-propos : « Dans ce cahier, il n’y a pas d’histoire ; entre ses pages se presse un vague herbier de moments morts. C’est une lettre aux chers disparus qui annonce : ‘ Je viens, j’arrive, je rentre.’ Je rentre de Troie, ville-songe, ville-destin, ville rayée de nos cartes, enfuie de nos calendriers, conquise par la vertu d’une mort consentie. Une histoire ? Mais l’histoire, ce n’est que des gens qui meurent. On marque leur nom dans des livres, on les grave sur des pierres. Ou dans un cahier. ‘ Dans un endroit où nous recommençons pratiquement tout depuis le début ‘ »
C'est beau : fleurs de néant. 8 étoiles

Très juste critique Kinbot, et difficile à écrire au vue de l’ambiguïté mise en œuvre dans ce Cahier d’un retour de Troie. Oui, le vieux clown ressort ses vieilles ficelles et se les tresse comme autant de souvenirs pour à la fin, en avoir une aussi rugueuse qu’une vie et se la passer autour cou.
Juste un conseil.
« Cahier d'un retour de Troie » est susceptible d’intéresser le lecteur pour peu que celui-ci soit déjà au parfum Brautigan . Il est le dernier complément d’une œuvre sans en être le couronnement et ça pue la mort à plein nez, et donc, si vous voulez rencontrer Brautigan ne commencez pas par celui-ci ou vous prendriez le risque de passer à côté d’un auteur à juste titre devenu culte.

Yali - - 60 ans - 14 août 2004