Les jours de poudre jaune
de Isabelle Wlodarczyk

critiqué par Dervla3012, le 19 octobre 2020
( - 18 ans)


La note:  étoiles
Une belle expérience !
De quoi ça parle ?

Amposta, Espagne, durant la Guerre Civile. La petite Paquita, du haut de ses onze ans, contemple son village et voit son pays se diviser à cause des querelles politiques. Au fil de ce récit inspiré d’histoires véridiques, le lecteur perçoit tantôt par les yeux de cette enfant et tantôt par ceux des membres de sa famille, la vie et le quotidien ravagés par une lutte fratricide.

Les franquistes et les républicains s’opposent ouvertement désormais. Même jusqu’au sein des foyers. Au bout de longues années de conflit, l’inévitable se produit : Franco s’apprête à remporter le combat et les « Rouges » sont forcés de fuir. La guerre paraît toucher à sa fin, les idéaux révolutionnaires sont piétinés et les combattants doivent rendre les armes. Comme le dit si bien Antonio, le père de la protagoniste :

« […] je viens de redevenir un individu alors que depuis trois ans j’étais un homme.

Le jour naît et je sens que les fils de la nuit viennent de mourir. »

Paquita et toute sa famille sont obligées de quitter le pays. Au cours de ce périple, la jeune fille va être forcée de voyager seule et de se débrouiller par elle-même. La guerre va finir mais l’inconnu demeurera toujours : comment vit-on lorsqu’on est enfant, après une telle expérience ?

« L’avenir ressemble à un lit de hasards ».

Mon avis :

J’ai lu ce roman de 230 pages avec facilité, en une semaine seulement, malgré un rythme soutenu de travail et de cours. En somme, c’était ce qu’il me fallait en cette période chargée : ni trop long, ni trop court et d’une lecture aisée.

Rentrons néanmoins dans le vif du sujet. Comme en témoignent les 4 étoiles que je mets au livre, sa lecture a été une belle expérience pour moi. Je mentirais même si j’affirmais ne pas avoir failli verser une larme, mais j’évoquerai cela en temps voulu.

Les personnages :

Il n’est pas facile de rencontrer des protagonistes possédant ne serait-ce qu’un soupçon de profondeur. Beaucoup de personnages ne servent qu’à combler un vide : ils font progresser l’action, un point c’est tout.

Dans Les jours de poudre jaune cependant, la surprise a été agréable. Les personnages sont intéressants : ni trop parfaits, ni trop méchants. Certains sont égoïstes, d’autres naïfs, ainsi ils construisent un tableau réaliste. Quoique parfois un peu trop romancé.

Je pourrai reprocher l’extrême maturité de l’héroïne, Paquita, qui a seulement 11 ans. L’auteure place dans sa bouche des paroles désabusées et désillusionnées qui n’y semblent pas tout à fait à leur place. Toutefois, la guerre force à grandir rapidement et cette gravité peut donc trouver une explication rationnelle. À titre d’exemple, voici un échantillon des paroles de l’enfant :

« Il n’y a plus de solidarité entre les hommes, même dans la mort. Et moi, je pars jouer à faire l’enfant pour y semer les graines d’un nouveau genre humain. »

Les péripéties :

Les actions s’enchaînent rapidement, sur un rythme soutenu. Le lecteur ne s’ennuie pas et ne se pose pas trop de questions, se laissant guider par la narration. C’est intéressant et émouvant. Certains passages portent même aux larmes, ce qui ne m’arrive pas souvent !

Toutefois, on perçoit la conscience de l’auteure en arrière-plan. On a l’impression d’entendre des questions tourner en boucle dans la tête de la narratrice : « Ces longues attentes ne vont-elles pas ennuyer le lecteur ? Le silence et l’absence d’émotions ne sont-ils pas trop déroutants ? » Parfois, les faits sont un peu montés en épingle, modelés, afin que leur importance n’échappe pas au lecteur, qui n’avait sans doute pas besoin de ces précautions pour s’en rendre compte.

Le contexte historico-politique :

La description du quotidien de la guerre, des échecs, de l’exil et de toutes leurs conséquences est vraiment très réussie. Je connais peu de choses sur la guerre civile espagnole, si ce n’est les informations de base. Ce roman a donc été pour moi des plus enrichissants.

Les deux camps sont clairement dépeints : les « Rouges » et les franquistes, l’un bon, l’autre mauvais. L’un juste, l’autre inhumain :

« Le rouge du foulard attaché autour de nos cous, un bout de tissu qui voudrait conquérir le monde et dire le bonheur d’être libre. Une étoffe pour laquelle les plus courageux mourront étranglés, un bâillon sur nos bouches. ‘Rojos’, comme un deuxième nom, un baptême de la République. »

« Je me retourne et je remarque un chien qui nous suit. Il n’appartient à personne. Il erre librement. C’était un des nôtres sans doute, un Rojo. Je crains qu’une vie commune ne nous lie désormais.

Nous, les chiens rouges de l’Espagne. »

Bien évidemment, il est impossible, dans cette histoire, de prendre le parti de la dictature de Franco. Ce régime a été horrible et Les jours de poudre jaune le montre très clairement.

Je dirais toutefois que cette affirmation aurait pu être montrée avec plus de subtilité : la réalité n’est jamais aussi tranchée. Ici, nous n’avons que le point de vue des républicains, mais peut-être aurait-il été intéressant de décrire aussi l’opinion du camp ennemi ?

Le style d’écriture :

Le style d’Isabelle Wlodarczyk est toujours très soigné et poétique, recourant à de belles métaphores. Parfois, cependant, la syntaxe m’est apparue trop enjolivée, voire un peu lourde, même si c’est une impression générale d’élégance qui domine.

Bien que les idées présentées ne soient pas nouvelles ou révolutionnaires, certains thèmes majeurs sont évoqués à travers de belles images élégamment développées. En voici quelques extraits :

« Il se baisse, attrape une poignée de terre d’Espagne, en respire l’odeur comme s’il tenait entre ses mains le plus grand trésor de l’humanité et la fourre dans sa poche. »

Ce motif récurrent de la terre, des origines et des ancêtres, reviendra maintes fois par la suite :

« J’ai conservé sa terre dans un pot d’argile. Je la soulève parfois, du bout des doigts. Elle est sèche et plus vieille que moi. […]

Le moment venu, c’est elle qui nous ensevelira. »