L'homme rouge et l'homme en noir
de Kim Leine

critiqué par Myrco, le 23 mars 2023
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Sur la colonisation du Groenland
Ce roman constitue le second volet d'une trilogie consacrée au Groenland et traite du début de la colonisation dano-norvégienne ( la Norvège est alors sous souveraineté danoise) au début du XVIIIème entre 1721 et 1735. Il se situe à une période en amont du précédent intitulé " Les prophètes du fjord de l'éternité " distingué par le Grand Prix de littérature du Conseil nordique, la plus haute distinction de la littérature scandinave (*).

Si l'ouvrage repose sur un travail sérieux de recherche documentaire comme en témoigne la bibliographie fournie, si nombre de ses personnages ont réellement existé à l'instar du pasteur luthérien Hans Egede (l'homme en noir) surnommé l'apôtre du Groenland, pour autant, à l'exception de quelques jalons historiques bien réels, les histoires qui les mettent en scène relèvent le plus souvent de l'imagination féconde de l'auteur comme il tient à le souligner dans son post-scriptum.

En 1721, Egede accompagné de sa famille embarque pour l'île nordique à la recherche des descendants éventuels des premiers colons vikings, les norrois, et se donne pour mission l'évangélisation des autochtones.
Quelques années plus tard, le roi du Danemark Frederick IV animé à la fois par la perspective de nouvelles richesses et par le souci de "condui(re) à la rédemption un peuple entier de sauvages" conçoit le projet de fonder auprès de lui une nouvelle colonie. Ce sera Godthab (Bonne Espérance) sur la côte sud-ouest à l'origine de Nuuk, la capitale actuelle.
Une expédition est montée sous la férule du gouverneur Pors réunissant militaires, fonctionnaires, domestiques, artisans...Quant aux colons proprement dits, il s'agit comme souvent dans ce genre d'opérations, de repris de justice, de prostituées, mariés et exilés de force, en charge d'assurer le peuplement futur de la colonie.
L'aventure s'avèrera désastreuse. Les maladies engendrées par des conditions extrêmement difficiles conjuguées à l'incurie des responsables (en tête celle d'un gouverneur fantoche) à l'origine de décisions inadaptées auront raison de la tentative.
En 1730, le nouveau roi Christian VI rappellera tout le monde ou plutôt ce qu'il en restera. Egede, que d'autres rejoindront par la suite demeurera...

On comprendra que la tonalité dominante du récit ne pouvait que s'annoncer sombre et austère , plusieurs éléments convergeant dans ce sens. D'abord, un contexte physique glaçant au sens propre: quinze années passées au Groenland auront permis à l'auteur dano-norvégien d'être en mesure de nous restituer l'âpreté de cet environnement inhospitalier. Ensuite, les conditions mortifères que vont devoir subir ces pauvres gens d'en bas relégués dans des conditions insalubres (à la différence des responsables) à une époque où la médecine n'est encore que balbutiante ( l'auteur nous offre quelques passages remarquables et documentés sur ces aspects par la voix du médecin de l'expédition). Enfin, et surtout peut-être, l'importance de la composante religieuse ,très prégnante dans les mentalités de l'époque, au travers de la rigueur luthérienne sectaire du personnage d'Egede.

Cependant et c'est bien là le paradoxe de ce livre, par son talent indéniable de conteur, Leine est parvenu à nous livrer un récit vivant et captivant de bout en bout. Cela tient d'abord à mon sens à ses choix d'écriture. Il joue en effet de la multiplicité des voix qui s'expriment tour à tour. aussi bien que de la diversité des modes narratifs (journal, lettres, dialogues...) et ce dans une structure qui impulse beaucoup de vivacité au récit, passant rapidement d'une situation à une autre, d'un personnage à un autre. De plus, cet accès à leur vécu intérieur leur confère une épaisseur humaine qu'on chercherait en vain dans un récit d'aventures à la troisième personne.
En outre, le romancier n'hésite pas à pimenter son récit de scènes cocasses ou hautes en couleur ( le duel inattendu, la fin de Gertrud, pour ne citer que celles-là) ou d'un réalisme cru ( le "service" imposé par Pors à son domestique afin de respecter les interdits religieux) qui peuvent prêter à sourire.
D'ailleurs à propos de ce dernier exemple, je dois avouer avoir été séduite jusqu'à la jubilation parfois par cette ironie critique assez mordante dont fait montre l'auteur à l'encontre de la religion ,plus précisément la doctrine luthérienne fondée sur l'obsession du salut, du mal, de la mort bien loin de l'amour du prochain et de la compassion que prône le christianisme, sans épargner toutefois la religion catholique. Dans la même veine, au travers des remarques souvent pertinentes des autochtones, il semble prendre un malin plaisir à pointer les incohérences du discours servi par les pasteurs.

Quant à l'opposition entre l'homme rouge et l'homme en noir sur laquelle se focalise le titre (traduction fidèle du titre original), elle m'apparaît finalement assez secondaire du point de vue de l'intrigue, tout au plus symbolique du choc des cultures. Avec le personnage d'Aappaluttok, le chaman doté de pouvoirs occultes dont la présence plane néanmoins sur tout le texte via des incursions récurrentes comme une litanie (" Je suis Aappaluttok"), c'est toute la culture inuit violentée, victimisée qui s'introduit dans le roman. Cet affrontement dont on nous parle en quatrième de couverture serait plutôt à sens unique, l'hostilité voire la cruauté à l'égard de ce père blessé dont il fait l'ennemi à abattre émanant du seul Egede, alors que le personnage du chaman nous est présenté comme un être plutôt bienveillant, ouvert à l'instar de ses congénères pacifistes et prêts à recevoir la parole de Jésus.

En conclusion, un roman instructif, passionnant, riche de multiples facettes et qui devrait faire date sur un épisode tragique de la colonisation du Groenland.

(*)Le dernier volet "Efter andemaneren" paru en 2021 ne l'est pas encore dans sa traduction française. A noter que les trois situés à des époques différentes peuvent se lire tout à fait indépendamment.
Au Nom de Dieu 7 étoiles

En 1721 Hans Egede vient apporter la parole de Dieu au Groenland ;il veut convertir les Norrois, afin qu’ils deviennent de bons chrétiens et renoncent à leurs coutumes et croyances ancestrales.
Quelques années plus tard, en 1728 le roi Frederik IV du Danemark, décide pour rétablir ses finances et agrandir son territoire, d’y établir une nouvelle colonie.
La famille Egede, sa femme Gertud, ses deux fils et ses deux filles vont voir débarquer de nombreuses personnes, du futur directeur de la colonie, au médecin, aux différents artisans, ainsi que plusieurs couples mariés de force, des prostituées et des malfrats sortis de prison pour peupler le nouveau territoire danois.

C’était sans prévoir les conditions de vie totalement inadaptées au milieu, ignorant le savoir des autochtones.
Il faudra des années et de nombreux morts, en 1935 pour que Egede commence à douter du bien-fondé de sa mission, commence à évoluer dans son comportement, à abandonner ses certitudes, à comprendre les écrits bibliques et ce sacrifice d’Abraham qui le hantait tant. Et enfin admette le bien fondé des coutumes et des règles de vie des Groenlandais, en reconnaissant le mal qu’il leur avait fait. "Il va mourir, songe-t-il. Bien sûr qu’il va mourir. Et c’est nous qui le tuons."

Nous suivons la vie de (trop?) nombreux personnages avant leur arrivée, pendant la traversée, au long de leur plus ou moins long séjour dans la colonie.
La vie difficile dans une époque où le sort des femmes est aussi peu enviable que celui des animaux, " la femme a beaucoup de merde et peu de sagesse. C’est pourquoi elle a le cul large et les épaules étroites. Chez l’homme, c’est le contraire." (Egede de sa femme); où les conditions de vie arrivent à faire vaciller les convictions des plus obtus, confrontant deux univers avec la présence ou l’apparition du nécromant Aappalutttoq.
" Vous les danois, vous êtes bizarres, dit l’homme. Votre dieu est à la fois faible et fort, et l’autre dieu, son père ; est à la fois cruel et aimant, les chrétiens sont à la fois bons , et mauvais, et notre terre est à la fois la nôtre et pas la nôtre. Tout est double avec vous les danois. On a la tête qui tourne à vous parler."

Un livre intéressant sur la bêtise humaine, les ravages de la colonisation, et de la christianisation ;
mais j’ai été lassée par les questionnements théologiques d’Edege et parfois perdue dans les récits d’Aappalutttoq. Écrit par un remarquable écrivain.

Marvic - Normandie - 65 ans - 17 novembre 2023


Colonisation et évangélisation 8 étoiles

Kim Leine Rasmussen (1961- ) est un écrivain dano-norvégien.
Rød Mand/Sort Mand (2018) : traduit du danois sous le titre L'Homme rouge et l'homme en noir parait en en France en 2020.

Roman qui traite de la seconde colonisation scandinave (1721-1940), principalement autour du personnage du missionnaire luthérien Hans Egede (1686-1758), dans les années 1721-1735.
Au delà de la colonisation du Groenland par le royaume du Danemark, il s'agit principalement de l'évangélisation des "païens" groenlandais.
Une mission qui s'avère - dès le début - inorganisée , bâclée et qui se traduira par une catastrophe humaine annoncée. Les navires embarquant prostituées et délinquants notoires, mariés de force pour coloniser ce nouveau territoire.
Un environnement naturel hostile ( humidité, froid, ... ) qui va rapidement décimer les troupes et saper le moral des colons.
Hans Egede, le pasteur missionnaire, fait tout son possible pour évangéliser une population plutôt docile et désireuse d'adopter le Christ et de sauver son âme. Une mission qui s'avèrera trop grande pour lui.

Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver devant une "brique "de 1000 pages (liseuse) abordant un thème indigeste et de persévérer quand même ?
C'est exactement ce qu'il m'est arrivé à la lecture de ce très long roman.
Un roman historique ( le Pasteur Egede a vraiment existé) qui fait une place importante à la religion (Luthériens, papistes, païens ). Il s'agit de guérir, soulager des âmes tourmentées et de convertir.
La maladie, la mort sont également très présents face à une médecine impuissante.
Je conserverai un souvenir mitigé de ce roman qui aurait gagné en concision mais le style de l'auteur est tellement magistral qu'on se laisse porter jusqu'à la fin .
Une belle découverte du Prix CL 2023 !

Frunny - PARIS - 58 ans - 15 mai 2023