Impossible
de Erri De Luca

critiqué par Veneziano, le 13 septembre 2020
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Intrigue politico-policière en pleine montagne
Un homme s'exerce à un périlleux exercice d'escalade, et croise un individu qui le précède, alors qu'il pensait pouvoir évoluer seul. Peu après, il le retrouve mort d'une chute, au creux de la montagne. Il est poursuivi et incarcéré préventivement pour homicide. Il s'avère qu'il avait connu la victime, lors de leur jeunesse commune, alors qu'il partageait un engagement révolutionnaire, à l'époque des années de Plomb, en Italie, où pullulaient les attentats terroristes et actions virulentes. Le protagoniste s'est éloigné de ce mouvement, dont les membres ont pu le considérer comme traitre à la cause
L'essentiel de ce roman policier consiste en une série d'interrogatoires avec le juge d'instruction qui tente de le faire avouer, alors que les résultats de l'autopsie ne sont pas encore connus, l'hypothèse d'un éventuel cas de légitime défense finissant par apparaître. Il est construit comme au moins autant comme un duel psychologique que comme un polar, la tension montant crescendo et des moments de complicité se rencontrant çà et là. Il s'avère poignant et saisissant. Il se lit d'une traite, et vaut le coup, à mon sens.
Un homme opiniâtre 8 étoiles

Dans les Dolomites, un homme seul part dans la montagne. Il s’aperçoit rapidement qu’un autre homme le précède. Il l’aperçoit, puis découvre qu’il a fait une chute tragique lors d’un passage dangereux.
Connaissait-il l’identité de l’homme ?
Le magistrat qui l’interroge en est persuadé. Car l’homme mort était un ancien compagnon révolutionnaire mais aussi le traître qui avait dénoncé ses camarades, responsable de leurs arrestations et emprisonnements.
"Quand le magistrat insistait avec ses questions, il disait qu’il voulait savoir la vérité . Ce n’est pas vrai. Il interroge pour obtenir une confirmation de ce qu’il croit déjà savoir."

Va s’engager un long face à face de questions-réponses, un dialogue passionnant où l’accusé raconte son engagement dans les jeunesses révolutionnaires, livre ses réflexions sur le sens de la vie, de la fraternité, la notion du temps quand on est en prison pendant des années.
Le magistrat l’écoute avec beaucoup d’attention, essaie de comprendre cette période sombre de l’histoire de l’Italie.
L’homme dans sa cellule, où il a choisi l’isolement, écrit des lettres à sa compagne, il confie ce qu’il ne pourrait pas lui dire, invoquant souvent sa présence, son histoire d'amour.
"En attendant, nous nous aimons vraiment beaucoup depuis dix ans. Pour moi, tu es toujours la femme à qui j’ai porté la valise le premier jour, quand il y a eu ce "tu" droit et léger, sans passer par l’hypocrite "vous". évoquer la première fois me fait penser à la deuxième. Elle a été la confirmation de notre rencontre, l’intention de se chercher pour continuer. Dès lors, nous n’avons connu que des deuxièmes fois, progressant en intimité."

J’appréhendais cette lecture d’un nouveau huis-clos. Même si j’avais beaucoup aimé celui de Tanguy Viel dans "Article 353 du code pénal."
J’ai fini ce court roman conquise ; les conversations, comme les monologues sont magnifiques, des pensées profondes, des réflexions philosophiques sur le sens de nos vies, de nos engagements, le temps…

Marvic - Normandie - 65 ans - 27 décembre 2022


Exercice de persuasion 8 étoiles

Duel entre un ex-terroriste et un jeune magistrat. Le premier a passé de nombreuses années en prison après avoir été dénoncé ou trahi par un des camarades repentis.

On évoque la période des années de plomb en Italie et les fameuses Brigades rouges. Alors qu’il effectue une randonnée en Montagne, son ex-compagnon de route et judas le précède sur la vire, sorte de sentier de promenade au bord d’une falaise. Ce dernier tombe, par accident ou parce qu’il a été poussé ?

Est-ce un hasard, une curieuse coïncidence ? Le juge n’y croit pas et tente maladroitement de faire avouer le meurtre par vengeance à un être féru d’expérience et de répartie.

Le roman est donc une succession d’auditions du suspect entrecoupées de lettre d’amour que le suspect adresse à une bien-aimée mystérieuse lorsqu’il retourne en cellule.

On se régale par le style et le procédé littéraire assez original et qui fait mouche, et on se rend assez vite compte que le combat est déséquilibré et que la sagesse l’emportera sur la conviction fougueuse mal argumentée.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 5 juillet 2021


Bien plus qu'une maïeutique 9 étoiles

C’est dit, Erri de Luca n’a jamais écrit et n’écrira jamais de polar, il n’aime pas ça ! Récemment, de passage dans une librairie du XXème arrondissement de Paris, lors d’une rencontre-dédicaces à laquelle je m’étais rendu, il nous l’a affirmé haut et fort. Le polar est un genre qu’il n’aime pas, entre autres parce que ces romans exigent une conclusion, autrement dit la résolution d’une affaire criminelle. Un coupable est désigné, et voilà ! Si tous les polars, en vérité, n’empruntent pas cette forme, il reste que Erri de Luca ne supporte pas les conclusions fermées, il les veut, au contraire, les plus ouvertes possible.
Son dernier ouvrage, celui qu’il venait présenter, l’autre jour, à Paris, n’est donc, en aucune façon, un polar en bonne et due forme, même s’il y est bien question d’une affaire de justice. Mais, en vérité, bien plus que la résolution, d’une enquête, ce qui intéresse l’auteur, ce sont les chemins de traverses, les débats d’idées, les réminiscences du passé, les motivations, les convictions, les confrontations. Tout cela nourrit un roman qui se subdivise tout entier en deux genres : celui de l’interrogatoire entre un magistrat et un inculpé (et avec la présence d’un avocat commis d’office, malgré le refus exprimé par l’inculpé), et le genre épistolaire (car, placé en cellule d’isolement, le prévenu se plaît à écrire à la femme qu’il aime, celle qu’il appelle Ammoremio). Ce dispositif donne à ce roman une forme quasi scénique, au point qu’on pourrait facilement l’adapter en pièce de théâtre. L’inculpé le dit d’ailleurs dans une de ses lettres à Ammoremio : « Tu aurais cru assister à une pièce de théâtre. »
Ce qui donne à ce récit, très certainement fortement imprégné d’autobiographie, sa singularité, ce qui le rend captivant, c’est qu’il ne se limite pas à la transcription d’un procès-verbal classique. Très vite, entre le magistrat et l’inculpé, l’échange des questions et des réponses ne se cantonne plus à une simple « maïeutique », à un dialogue à la manière de Socrate, destiné à faire accoucher de la vérité, mais à une sorte de joute verbale qui donne lieu, entre les deux protagonistes à des débats passionnants et passionnés sur des questions qui hantent l’imaginaire de Erri de Luca, des questions ayant trait à l’engagement politique, à la liberté, à la justice, à l’amitié, à la trahison, mais aussi à la nature et, en particulier, à la montagne.
Car c’est précisément lors d’une marche en montagne, dans les Dolomites, qu’ont eu lieu les événements qui ont conduit à l’inculpation de l’homme en question. Que s’est-il passé ? Au cours de cette sortie, alors qu’il se trouvait dans un endroit périlleux, l’homme s’est trouvé en présence de quelqu’un d’autre, un autre promeneur qui, s’étant engagé dans un passage difficile, est bientôt retrouvé au bas d’un éboulement, à la suite d’une chute mortelle. Or ces hommes, par coïncidence, se connaissaient de longue date, puisqu’ils avaient milité tous deux, durant leur jeunesse, dans un mouvement politique révolutionnaire. Entre eux s’était même nouée une grande amitié, autant qu’il était possible sans déroger à l’esprit collectif. Or l’homme qui était considéré comme un ami avait trahi, livré ses compagnons, lorsque le mouvement auxquels ils appartenaient avait fait l’objet de poursuites. Sachant cela, comment ne pas se poser des questions ? Que s’est-il réellement passé en montagne ? Un malheureux accident, comme le prétend l’inculpé ? Ou un règlement de comptes, comme en est persuadé le magistrat qui conduit l’investigation ?
Je le répète, ne nous attendons pas à une résolution pure et simple de ce mystère. Ce qui intéresse Erri de Luca, c’est le dialogue en tant que tel, ce qui se joue entre un magistrat qui questionne et un inculpé sommé de répondre. Et l’on peut affirmer que l’écrivain s’y prend à merveille pour, partant du canevas classique de l’interrogatoire, explorer, débattre et se souvenir, usant, s’il le faut, de métaphores (celle du tennis, par exemple) ou recourant à des lectures d’écrivains comme Jack London ou Leonardo Sciascia.
Et puis (sont-elles des contrepoints ou, au contraire, le cœur de l’ouvrage), il y a les lettres à Ammoremio, à la femme aimée. À mon sens, elles sont le sommet de ce livre, elles élèvent l’esprit, sinon le corps, bien plus encore que toutes les marches en montagne. L’inculpé s’y confie en adoptant un tout autre ton que celui dont il use avec le magistrat. Avec Ammoremio aussi, il aborde aussi les sujets qui lui tiennent à cœur, mais autrement, par un autre biais. Et puis, à elle, il lui parle de sa condition de détenu, lui qui affirme ne s’être jamais ennuyé de sa vie, lui qui se délecte avec la poésie, lui qui aime sa correspondante, son aimée, sans s’embarrasser de jalousie, comme tant d’autres détenus qui craignent que leur compagne leur soit infidèle. Rien de tel pour notre homme, ses lettres d’amour sont des prodiges de finesse et de beauté qui, tout comme ses réponses au magistrat, mais à un degré supplémentaire, rendent compte non pas de la vérité, mais, tout simplement, de sa vérité, rien de plus.

Poet75 - Paris - 67 ans - 19 mars 2021