Un jour viendra couleur d'orange
de Grégoire Delacourt

critiqué par Nathavh, le 28 août 2020
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Humanité et empathie
Attention, c'est un petit bijou d'émotion et d'empathie que nous propose Grégoire Delacourt. Un roman qui m'a bouleversée à plusieurs reprises.

C'est un roman social qui démarre avec les manifestations des gilets jaunes et qui suit leur combat.
J'étais sceptique au départ sur la thématique, grosse erreur, vraiment lisez ce très beau roman car il permet de comprendre leur colère. Comment celle-ci est née, non, pas en une seule fois comme ça, c'est par l'accumulation des frustrations, de l'acceptation contrainte et forcée de l'évolution de la situation politique française.

Le 17 novembre 2018 , Pierre et ses potes se postent au rond point de la ville, nous sommes dans le Nord, ils veulent faire changer le monde, faire entendre leur voix, trop c'est trop. Il suffira de peu de chose, une étincelle et Pierre basculera dans la violence entrainant la rupture avec sa famille.


Pierre et Louise se sont rencontrés le 21 avril 2002 à la défaite de Jospin, à l'arrivée du "borgne"..., à la victoire de Chirac. Leur rencontre a été fulgurante.

Lui, 36 ans ouvrier dans une usine de papier carton qui fermera quatre ans plus tard, réduit aujourd'hui au poste de vigile chez Auchan, un poste où la considération n'existe pas - moins bien qu'un chien c'est dire.

Elle, dix ans de moins, magnifique, infirmière aujourd'hui en soins palliatifs, c'est elle qui trouve les mots justes pour accompagner les patients dans leur dernier voyage, qui leur permet de lâcher prise et de quitter ce monde sereinement.

Trois ans après leur rencontre est né Geoffroy qui a aujourd'hui 13 ans. C'est un enfant différent, super sensible qui ne supporte pas qu'on le touche, ne parle pas spontanément. Il est super intelligent, a une mémoire incroyable, il mange ses aliments en fonction de la chromaticité, toujours du plus clair au plus foncé, et les aliments ne peuvent pas se toucher. Il est autiste, et cette différence Pierre ne l'a jamais supportée, elle l'a perdu et grossit sa colère.

Il y a deux ans, lorsque Geoffroy avait 11 ans, l'école c'était compliqué pour lui, pas la matière mais il était solitaire vivant dans son monde, craintif de tout et une fille , Djamila, de deux ans son aînée s'est assise à côté de lui et lui a fait écouter de sa musique, et tout a changé. Une amitié précieuse.

Djamila est la fille d'Ahmed Zéroual, ouvrier quatrième génération en France, elle se sent française avant tout et veut vivre dans son pays, elle a deux frères aînés qui ne voient pas les choses de la même manière !

Et puis il y a le sage, Hagop Haytayan, un arménien qui a choisi de vivre autrement, dans les bois, proche de la nature, produire des fruits et légumes, se ressourcer dans la forêt.

Il y a tant de choses à dire sur ce merveilleux roman écrit tout en finesse avec beaucoup d'empathie et d'humanité. La plume est belle, les mots bien choisis. Grégoire Delacourt fait une analyse de la société française, de ses injustices sociales, des frustrations accumulées, du grand nombre de français en situation de précarité. Il parle des problèmes d'intégration, du racisme, du poids de l'identité.

Beaucoup d'humanité dans le chef de Louise qui donne sans compter, aime les autres, aime et s'oublie. Humanité qui passe aussi par la violence et la révolte, dans la foi de l'humain. Des enfants qui luttent contre la différence mais qui sont aussi la clé, la pièce manquante l'un pour l'autre et la promesse d'un avenir. Des enfants qui luttent et refusent le monde actuel en créant leur propre monde, comme Agop qui a gardé son âme d'enfant, la solution pour un monde meilleur.

Lisez ce roman !

Ma note : ♥♥♥♥♥


Les jolies phrases

Ils observaient. Ils connaissaient bien la théorie de l'étincelle. Du feu aux poudres.

Une guerre, c'est choisir un camp, c'est se lever, et peu d'hommes ont les jambes solides.

La solitude est un ennemi cruel.

Eh ben on va aller se les péter leurs radars, a proposé Pierre et tout le monde a été d'accord mais personne n'a osé bouger parce que chacun savait que c'est la première violence qui est la plus difficile. L'irréversible. Celle qui signe le début de la fin : après le premier coup, les fauves se lâchent. La chair des hommes devient champ de bataille. Alors personne n'a bougé.

On disait ici, au cinquième étage de l'hôpital, que la douleur concernait le corps et la souffrance l'âme. Au corps, les médecines, les équations chimiques. Les soulagements. Á l'âme, la douceur, la musique des mots, l'empathie. Le corps lâche le premier. L'âme s'accroche.

Les adultes tuent ceux qui leur rappellent ce qu'ils ont tué en eux.

Ce pays que nous aimons n'aime pas la différence et depuis les férocités ce désamour est devenu de la haine.

.. et le temps est venu que ce pays qui nous a attirés avec des os, comme on le fait avec les chiens, puis nous a frappé la gueule avec, accepte de nous voir.

Regarde ton fils aujourd'hui. Regarde-le. Il est beau. Il est intelligent. Il est doux. Il vit dans un monde où nous avons notre place, toi et moi. Un monde d'arbres et de vent, de mots savants, un monde où le mal, la colère et la violence n'existent pas. Ce monde qu'on a tous perdu, qu'on cherche désespérément à retrouver.

La différence fait peur, Djamila. Elle donne le sentiment aux autres d'être privés de quelque chose et au lieu de s'en nourrir, ils préfèrent la détruire. On cogne mon fils. On assomme un homosexuel. On tabasse un Noir. Un Arabe. On frappe tout ce qui risquerait de révéler qu'on n'est pas si extraordinaire que ça. La peur de l'autre, c'est la peur d'être soi même médiocre.

Il y a des enfants qui ne sont déjà plus des enfants, savez-vous. Ils n'ont plus cette île en eux. Cette terre ferme. Ils deviennent les pires adultes.

Elle a lu la guerre. Elle a lu la chute. Elle lit l'abandon. La capitulation. Elle sait les derniers jours à venir. La peur, le froid. Elle sait la douleur quand on rend les armes. Ce grondement. Quand on articule un adieu inaudible. Une dernière grimace triste. Voilà plus de huit ans qu'elle se défait chaque jour d'un peu de sa substance vivante, comme une terre qui s'érode, pour la transfuser aux autres. Qu'elle crée des liens qui ne lient rien. Qu'elle ouvre ses mains, laisse le sable couler.

Faut pas rêver. Ici, les gens se la jouent perso. Ils gueulent, mais ils ne veulent pas d'emmerdes. Juste garder leur confort. Leurs petits avantages. On n'est plus en 1789. On n'est plus un peuple. On est soixante-cinq millions de peuples.

La faim, la honte ne peuvent pas en plus te déshabiller de ta dignité.