Hommage à la Catalogne : 1936-1937
de George Orwell

critiqué par Sibylline, le 9 août 2004
(Normandie - 74 ans)


La note:  étoiles
Témoignage essentiel
Il s’agit ici d’un texte extrêmement vivant. On est loin des dissertations et des études historiques, fruits de l’étude des documents ou de la récolte de témoignages. Nous avons ici le récit, à chaud, par un témoin honnête et intelligent, d’une de ces périodes qui ont fait tourner l’Histoire.
George Orwell, digne anglais, de bonne famille quoiqu’un peu désargentée, devait tout de même être un type extraordinaire ! Un co-internaute m’a parlé de son romantisme. Romantique, sûrement, il l’était. Je dirais même plutôt idéaliste… et courageux, car il fallait l’être pour braver les diktats de son monde, de sa société, dans sa vie en Angleterre. Il fallait l’être plus encore pour aller s’engager en Espagne.
Ce n’est pas tout le monde qui a dans sa vie l’occasion, puis le courage de risquer son existence par pur idéalisme; puis, l’ayant fait, d’avoir survécu (de justesse) et de disposer des mots et du talent qu’il faut pour le raconter quelques mois après. Mais c’est peut-être tout le monde qui en aurait rêvé, comme à une sorte de point d’orgue.
Un petit rappel historique : Nous sommes en 1936. En Espagne, un gouvernement républicain est au pouvoir légalement. Les Fascistes tentent un coup d’état pour le renverser et établir leur dictature. Dans un premier temps, ils sont vaincus et font appel à leurs alliés internationaux : Hitler et Mussolini qui leur envoient un soutien logistique conséquent qui leur permet de renverser la situation. Les Républicains font à leur tour appel à l’aide des gouvernements démocratiques, mais ceux-ci préfèrent regarder en l’air en sifflotant d’un air dégagé. Pourtant, dans tous ces pays, des hommes se lèveront pour rejoindre les forces républicaines et tenter d’empêcher les Fascistes de mettre fin à la République en Espagne. Orwell était de ceux-là. On les a appelés les Brigades Internationales. Nous savons qu’ils ont échoué, mais Orwell, au moment où il rédige « Hommage à la Catalogne », revenu en Angleterre depuis sept mois, à cause d’une sérieuse blessure, ne le sait pas encore. Quand il écrit ce livre, il croit que tout n’est pas encore joué. Pourtant, il a perdu à Barcelone une partie de ses illusions. « Je pense qu’il est impossible que personne ait pu passer plus de quelques semaines en Espagne sans être désillusionné. (…)La vérité, c’est que toute guerre subit de mois en mois une sorte de dégradation progressive, parce que tout simplement des choses telles que la liberté individuelle et une presse véridique ne sont pas compatibles avec le rendement, l’efficacité militaire. »
Arrivé plein de conviction, prêt à donner sa vie pour défendre son idéal de liberté, il s’enfuira, gravement blessé, poursuivi par ses propres compagnons (les communistes) qui se sont mis à exterminer les anarchistes pour s’assurer plus fermement d’un pouvoir qu’il ne garderont d’ailleurs pas ;
C’est ainsi qu’Orwell quittera l’Espagne et rédigera en Angleterre cet « Hommage à la Catalogne » alors même que tout n’est pas encore joué là-bas, en Espagne.
Cependant je retiens surtout ce final : « Quand on a eu un aperçu d’un désastre tel que celui-ci (…) il n’en résulte pas forcément de la désillusion et du cynisme Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m’ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains. »
Ce qui m’a frappée à la lecture de ce texte, c’est le point d’honneur qu’Orwell met à relater avec toute la sincérité et la vérité possible, tout ce qu’il a vu. Ainsi n’hésite-t-il pas à parler du gaspillage et des pertes dues à l’inorganisation de son propre camp, quand ce n’était pas la victoire manquée, ni même des blessés morts d’avoir été mal soignés par les siens. Cela ne l’empêchera pas, en fin d’ouvrage, d’exhorter encore ses lecteurs à ne pas oublier qu’un récit n’est jamais totalement objectif. C’est pour toute cette honnêteté que j’adore Orwell.
Majeur 10 étoiles

Je constate d'abord que deux éditions de ce livre font l'objet de traitements différents sur ce site: la critique de Henri Cachia étant séparée de celles qui suivent celle de Sibylline. Que dire si longtemps après les faits ( plus de 80 ans) et de si bons ouvrages historiques à la suite de celui de Hugh Thomas. Les contributeurs sur ce site ont plus insisté sur les qualités présentés à cette occasion par Orwell que sur ses considérations sur les situations qu'il a rencontrées. Et c'est normal, tant d'ouvrages ultérieurs ont fini par éclairer ces terribles événements et toutes leurs conséquences sur l'état actuel de l'Espagne. Je retiens de ce livre deux choses: la très belle lucidité d'Orwell lui permettant de décrypter dans des conditions difficiles les soubresauts qui l'entouraient, les effarantes oppositions internes, souvent manipulées de l'étranger, qui ont miné le Gouvernement Républicain espagnol et largement expliqué sa défaite finale.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 7 mars 2021


Orwell le combattant P.O.U.M. 8 étoiles

Une note de la traductrice Yvonne Davet débute cet ouvrage :
selon le désir de Georges Orwell (exprimé dans ses lettres à Yvonne Davet du 29 juillet 1946 et du 13 janvier 1947), les chapitres V et XI ont été reportés à la fin du livre, en appendice ; « Ils traitent de la politique intérieure de la révolution espagnole, écrivait Orwell, et il me semble que le lecteur ordinaire les trouverait ennuyeux. Mais en même temps, ils ont une valeur historique, et il serait dommage de les supprimer. En écrivant ce livre, j'ai tâché de concentrer mes réflexions politiques dans ces deux chapitres, et on peut les mettre à la fin sans interrompre le récit. »

Ces deux chapitres (60 pages), sont particulièrement intéressants et passionnants. Où Orwell se fait l'avocat du P.O.U.M.(Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) qui a été la cible non seulement de Franco, mais également du parti communiste n'hésitant pas à faire une véritable campagne de diffamation, accusant le P.O.U.M. d'être à la solde d'Hitler et de Mussolini. Bref, des espions de la pire espèce.
Orwell, après enquête minutieuse des plus sérieuses, citant ses sources, coupant et recoupant de nombreuses contradictions, prouvera que ces attaques ne servait en fait qu'à disqualifier ce parti qui jugeait que la révolution ouvrière devait être internationale, ou ne serait pas.
Alors que le parti communiste ne souhaitait en fait qu'une révolution ouvrière associée à diverses couches de la bourgeoisie libérale, celles-là mêmes qui sont le soutien du fascisme quand il se propose sous une forme plus moderne.

Orwell, témoin et engagé dans le combat, écrit alors que la situation est en perpétuelle évolution, et qu'il n'en connaît pas encore la fin... Si toutefois il n'y a jamais de fin... à tout conflit. Avec ses revirements, ses trahisons, ses erreurs, ses méfiances, ses diffamations, qui débouchent par voie de conséquence sur des paranos empoisonnantes.
Malgré l'immense chaos qui se dégage de ce récit, l'auteur veille à relater le plus justement possible ce qu'il perçoit de l'intérieur. Les mauvais fusils imprécis et les bombes qui n'explosent qu'une fois sur deux, font que les balles qui crépitent autour des combattants ne leur font pas peur, et n'hésitent pas à se lancer dans des expéditions pour aller chercher du bois. Le froid dans les tranchées boueuses est bien plus redoutable.

Extrait:
... « … Si les mitrailleurs fascistes vous apercevaient, ils ne lésinaient pas à vous envoyer pour vous tout seul une caisse de munitions. Généralement ils visaient trop haut et les balles passaient au-dessus de votre tête en chantant comme des oiseaux, mais parfois cependant elles crépitaient et faisaient voler le calcaire en éclats tout près de vous de façon inquiétante, et alors vous vous flanquiez le visage contre terre. Vous n'en continuiez pas moins à aller cueillir des roseaux ; rien ne comptait à côté du bois à brûler. Comparées au froid, les autres incommodités semblaient insignifiantes... »...

« Hommage à la Catalogne » préfigure les écrits suivants de l'auteur. Nul doute que sa participation à cette guerre-révolution (qui aurait pu changer le cours du monde économique et politique, si elle n'avait été sabotée), donne encore plus de valeur à ses romans prémonitoires.

Henri Cachia - LILLE - 62 ans - 8 octobre 2018


Une oeuvre forte et une analyse assez remarquable de la guerre d'Espagne 10 étoiles

Quelle belle surprise !
Caché derrière 1984 et la ferme des animaux, ce récit d'Orwell est probablement son œuvre la plus personnelle.

Ce qui est frappant, au delà d'un style littéraire toujours aussi puissant et maîtrisé (et d'une excellente traduction), c'est la capacité d'Orwell à analyser l'ensemble de la situation espagnole à cette époque là ; et de le faire à chaud ! Il a écrit ce bouquin quelques mois après son désengagement. Militant et combattant au sein du POUM, il fait preuve d'un sens de l'analyse et d'une faculté de recul bluffants.

C'est une belle histoire et une leçon d'Histoire, en somme.

INDISPENSABLE.

Thorpedo - - 45 ans - 15 décembre 2017


Puissant 10 étoiles

J'adore Orwell depuis qu'adolescent, j'ai découvert (et dévoré) "1984". J'ai découvert ensuite, mais bien plus tard (bien après en avoir vu l'adaptation en dessin animé, de 1954, qui fut censurée en Angleterre car assez violente), "La Ferme Des Animaux", qui est au moins aussi essentiel à tout bibliophile que "1984". Puis j'ai lu "La Vache Enragée", alias "Dans La Dèche à Paris et Londres", qui est un témoignage marquant sur une des plus sinistres périodes de sa vie (clodo à Paris), puis j'ai lu "Et Vive L'Aspidistra !", un roman remarquable. Puis j'ai lu ce témoignage sur ses souvenirs de combattant pendant la guerre civile espagnole en 36/37.
Il me reste pas mal de choses à lire de lui, mais je peux d'ores et déjà affirmer qu'Orwell est clairement un des plus grands. Un Grand, avec une majuscule.
Pour en revenir rapidos à "Hommage A La Catalogne", que dire qui n'a déjà été dit ici à deux reprises (au moment d'écrire ma critique) ? Un livre puissant, remarquable de bout en bout, qui se lit comme un roman tout en étant vrai de bout en bout. Parfois émouvant, parfois drôle (Orwell possède un style inimitable), parfois révoltant, toujours passionnant, ce livre est un essentiel de plus dans l'oeuvre orwellienne - et le pendant 'réel' du mythique "Pour Qui Sonne Le Glas" d'Hemingway, qui se passe pendant la même guerre civile.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 13 avril 2015


Une expérience marquante 8 étoiles

Peu de mots à ajouter à la belle critique de Sibylline dont je partage la vision de cet ouvrage et du travail de George Orwell.
Plusieurs éléments m'ont frappée dans ce journal-récit rédigé par Orwell. Tout d'abord sa proximité tant géographique que chronologique avec les événements. malgré cette écriture "à chaud", on sent qu'Orwell réfléchit longuement et mûrit ses propos. Pas de jugements à l'emporte-pièce mais un énoncé clair et lucide. C'est impressionnant. Orwell qui aborde sans fard le propagandisme, la presse tronquée, l'information travestie. Il parle de tout cela, il dénonce, il milite. Comme le dit Sibylline, Orwell parle de son subjectivisme, il n'est évidement pas neutre dans toute cette histoire mais cela ne l'empêche pas de parler de tout avec franchise et rigueur.
J'ai également été touchée par la cruelle désillusion qu'il connaîtra, lui qui a combattu avec tant de force auprès des milices du POUM. Orwell se fait critique, il explique ses craintes des idéologies et des totalitarismes, tout en évoquant leur caractère indispensable à la gestion de la société. Politique et humain à la fois. Un précieux témoignage.

Sahkti - Genève - 50 ans - 9 juillet 2005