Dans l'enfer de Tuol Sleng: L'inquisition khmère rouge en mots et en tableaux
de Vann Nath

critiqué par Anonyme11, le 19 août 2020
( - - ans)


La note:  étoiles
Uniquement parce que Vann Nath savait peindre Pol Pot..., il a survécu !
Il s’agit d’un autre témoignage exceptionnel, celui de Vann Nath, l’un des 7 survivants de l’ancien Lycée Pohnea Yat, transformé en Centre de torture et d’exécution, nommé : Tuol Sleng et dont le nom secret était Centre de Sécurité 21 (ou S-21), dans la Capitale du Cambodge, Phnom Penh. Dans le Centre S-21, entre 12 380 (chiffre officiel) et certainement environ 15 000 prisonniers, furent systématiquement : interrogés, torturés, puis sauvagement exécutés, y compris des femmes, des enfants, et même des nourrissons, pour la plupart, après avoir été emmenés au Champ d’exécution de Choeung Ek, à 15 kilomètres de Phnom Penh. Les victimes avaient d’abord le crâne fracassé à l’aide d’une barre de fer, puis étaient jetées dans des fosses communes pour finir par y être égorgées avec une machette. Cette méthode barbare d’exécution possédait le double « avantage » de ne pas être bruyante, afin de garder le secret de ces crimes monstrueux, et qui plus est…, d’économiser des balles.
Vann Nath a passé un an tout juste au Centre S-21, du 7 janvier 1978 au 7 janvier 1979, date à laquelle Phnom penh fut envahie par les troupes Vietnamiennes.
L’auteur nous décrit avec intensité toutes les horreurs : vécues, subies, vues et entendues, durant quatre longues et effroyables années, à travers son écriture et ses dessins excellemment descriptifs.

Vann Nath est un artiste peintre qui monta sa petite affaire en 1969, en peignant des affiches pour le cinéma, des portraits individuels, ainsi que des panneaux d’affichage à l’effigie du roi Sihanouk.
Puis, ce fut le coup d’État du Général Lon Nol le 18 mars 1970, et le déclenchement de la Guerre Civile. Les Communistes Khmers Rouges repliés dans la jungle, et l’Armée composée de Cambodgiens enrôlés de force dans l’Armée de Lon Nol, se livrèrent à une guerre sans merci.
Jusqu’au tristement célèbre, 17 avril 1975, jour où les Khmers Rouges du « Frère n°1 » surnommé également Pol Pot, ont envahi Phnom Penh. Pol Pot était le responsable du Parti Communiste du « Kampuchéa Démocratique », ou « Angkar ».
Dans la journée même, les Khmers Rouges ordonnèrent l’évacuation des habitants de toutes les grandes villes du pays, en destination des campagnes, dans le but de « régénérer » le Peuple Cambodgien. En effet, les gens des villes étaient considérés comme : « bourgeois », « ennemis de classes », donc TOUS des « contre-révolutionnaires ». Pour les Khmers Rouges, tous les citadins devaient retourner aux origines pour se « purifier », c’est-à-dire travailler très durement de leurs mains, la terre, dans les campagnes, être « rééduqués » Idéologiquement et/ou être…, exterminés !

Le 20 avril 1975, ce fut donc au tour de la ville de Battambang, où vivaient Vann Nath et sa famille, d’être envahie par les Khmers Rouges. Les habitants reçurent alors le même mot d’ordre qu’à Phnom Penh et que dans toutes les villes du Cambodge, à savoir, quitter la ville soi-disant pour deux ou trois jours seulement (dans le but de ne pas effrayer la population), sous le fallacieux prétexte d’un bombardement imminent de la part des Américains (page 35) :

« Inutile d’emporter trop d’affaires avec vous ! Conseille la voix dans le haut-parleur. L’Angkar vous demande de partir seulement trois jours. Vite ! Vite ! Les Américains vont bientôt bombarder ! »
Les menaces s’accompagnent de tirs pour forcer les gens à quitter leur maison et les pousser dans les rues. Je me précipite chez ma belle-soeur. Quand j’arrive, son mari est en train de charger des bagages sur une charrette. Leurs enfants sont en larmes.
« Frère, où vas-tu ? Demandé-je.
– On nous a ordonné de quitter la ville pour trois jours. »

Durant leurs différentes déportations, Vann Nath et sa famille vécurent quelques temps dans le village nommé : Coopérative n°5.
Vann Nath travailla dur à construire des maisons, des barrages, des canaux d’irrigation et à ramasser du bois.
Comme l’Angkar réduisait constamment les rations alimentaires, très rapidement, de plus en plus de prisonniers commencèrent à mourir : de faim, de maladie, de déshydratation… Ces « ombres » aux corps gonflés par la faim, erraient dans les campagnes, tombaient, puis mouraient sur place.
Moins faible que les autres, Vann Nath fut alors embauché pour enterrer les corps dont le nombre ne cessait de croître. Les corps de ceux qui étaient exécutés, étaient carrément abandonnés dans la forêt à l’extérieur du village.

Puis, Vann Nath fut à nouveau transféré à la Coopérative de la pagode Balat. Il fut alors ligoté, attaché par des fers et des chaînes, relégué et déshumanisé à l’état de bête sauvage.
Il fut interrogé et torturé par électrocution durant deux jours, afin de lui faire avouer n’importe quoi : dans la « grande tradition » des méthodes barbares régissant le système de Terreur Communiste.
Il était alors traité de « kmang » (« ennemi »).

Ensuite, avec d’autres, il fut transféré en camion en direction du sinistre Centre S-21. Les prisonniers étaient amenés à la prison de Tuol Sleng : menottés, les yeux bandés, et attachés tous ensemble par une corde autour du coup…, comme du bétail.
Dès leur arrivée, ils étaient photographiés puis leurs tortionnaires leur rebandaient les yeux.
Ils étaient ensuite escortés vers une salle dans laquelle ils étaient tous attachés par terre, à une longue barre en métal, avec une cheville emprisonnée dans un anneau en fer, les uns collés aux autres.
Ils furent d’abord une douzaine de prisonniers entassés dans cette salle ; à peine nourris, couverts de poux, de plaies et de croûtes sur tout le corps. Ils croupissaient par terre, dans des conditions inhumaines, pire que pour des animaux. Puis, les uns après les autres, ils étaient emmenés pour être interrogés, torturés, et disparaissaient pour être exécutés. Nombreux étaient ceux qui mouraient de faim directement dans la cellule collective.
Le nombre de prisonniers entrant à S-21, augmentait constamment.
Bientôt, Vann Nath constata qu’ils se retrouvaient à une cinquantaine de détenus entassés dans la cellule. Les conditions d’hygiène y étaient intenables.

Au bout d’un mois de cette détention inhumaine, ce fut au tour de Vann Nath d’être emmené par les bourreaux.
Alors qu’il était certain d’être conduit à la mort, curieusement, on le fit entrer dans une pièce ne ressemblant ni à une salle d’interrogatoire, ni de torture. Il fut présenté à un homme assis sur un canapé, qui était craint et respecté par tous les gardiens-tortionnaires. Cet homme, c’était Douch, le Directeur du Centre S-21.
Douch lui déclara donc qu’il avait été amené dans cet atelier pour : concevoir, copier, réaliser des portraits du « Frère n°1 », Pol Pot. A cette période, Vann Nath n’avait pas connaissance de l’existence de ce Pol Pot, juste de celle d’un autre haut responsable Khmer Rouge, Khieu Samphan.
Vann Nath prit alors rapidement conscience que sa survie dépendait uniquement de la qualité de son travail de peinture !
Durant 5 mois, il peignit huit portraits de Pol Pot, et pendant tout ce temps, il entendait jour et nuit, les menaces des bourreaux et les hurlements de douleur des victimes…

Vann Nath démontre alors la cruauté de Douch, lorsque le prisonnier Meng fut torturé (pages 116 et 117) :

« A peine a-t-il ouvert la bouche que Douch lui expédie un coup de pied dans la tête. Meng s’écroule par terre.
(…) « Emmenez-le ! Ordonne Douch. Je ne supporte plus de voir sa figure. »
On emmène Meng hors de la pièce, ses chaînes traînant derrière lui.
« Alors, les gars, que pensez-vous de Meng ? Nous demande Douch. A mon avis, il ne nous est plus d’aucune utilité, il est trop fourbe et trop arrogant. C’est un snob, qui ne sait pas faire la distinction entre ses supérieurs et ses subordonnés. Je l’ai vu dire tous les jours à Nath ce qu’il devait faire, pendant que Nath se laissait tranquillement manipuler. Il vaudrait mieux se servir de lui comme engrais, qu’est-ce que vous en pensez ? »
Douch éclate d’un rire cruel, puis demande :
« Ça vous va ? ». »

Le 7 janvier 1979, l’Armée Vietnamienne envahit Phnom Penh. Ce fut alors la débâcle et des geôliers firent sortir Vann Nath et d’autres prisonniers, hors de la Capitale. Puis, dans la confusion des bombardements et des tirs, tout le monde fut séparé et Vann Nath parvint à se libérer de ses gardiens. Et deux jours plus tard, il regagna Phnom Penh.
Il était enfin libre !

Plusieurs mois après, il réussit finalement à retourner dans son village natal de Battambang, à la recherche de sa famille…
Tragiquement, on lui apprit que ses deux enfants étaient morts par manque de soins, mais il retrouva son épouse, toujours en vie.

Par la suite, lorsque le Centre S-21 commença a être transformé en Musée du Génocide, Vann Nath retrouva, dans les Archives de la prison, une liste de prisonniers à exécuter, signée par Douch en date du 16 février 1978, et sur laquelle figurait son nom, avec en face, la mention notée à l’encre rouge, entre parenthèses : « garder ».
Il fut alors saisi d’effroi, en comprenant que cela signifiait que tous les autres noms figurant sur la liste avaient été « écrasés », « détruits », pour reprendre les termes couramment usités par Douch et les responsables du Parti Communiste du « Kampuchéa Démocratique » des Khmers Rouges !

Seul le talent de peintre de Vann Nath l’a épargné…, d’une mort certaine !

Confer également d’autres ouvrages aussi passionnants sur le même thème, de :
– Kèn Khun De la dictature des Khmers rouges à l’occupation vietnamienne ;
– Thierry Cruvellier Le maître des aveux ;
– François Bizot Le silence du bourreau ;
– François Bizot Le Portail ;
– Malay Phcar Une enfance en enfer : Cambodge, 17 avril 1975 – 8 mars 1980 ;
– François Ponchaud (Cambodge année zéro) ;
– Claire Ly Revenue de l’enfer : Quatre ans dans les camps des Khmers rouges ;
– Sam Rainsy Des racines dans la pierre ;
– Pin Yathay (Tu vivras, mon fils) ;
– Philip Short Pol Pot : Anatomie d’un cauchemar.