Deux hivers, un été
de Valérie Villieu (Scénario), Antoine Houcke (Dessin)

critiqué par Poet75, le 16 août 2020
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Une jeune fille dans la tourmente
Il m’est arrivé, à quelques reprises, d’entendre des personnes exprimer qu’elles en ont assez des témoignages sur la Shoah, d’une manière générale sur les persécutions de Juifs pendant la deuxième guerre mondiale, comme si elles étaient parvenues à saturation. Sur internet, des commentaires sont parfois du même acabit. Pour moi, les propos de ce style sont effarants. J’estime, au contraire, qu’il n’y aura jamais assez de témoignages sur ce sujet, parce qu’il dépasse l’entendement et parce qu’il faudrait, dans l’idéal, avoir le récit de chacune et de chacun de celles et ceux qui ont été les victimes de la barbarie nazie. Toutes ces histoires se ressemblent, bien évidemment. Néanmoins, chacune est singulière, chacune a sa spécificité, chacune est infiniment précieuse et pas une ne devrait laisser indifférent qui que ce soit.
De plus, lorsque l’une d’elles nous parvient sous une forme originale, comment pourrait-on se comporter en blasé ? Justement, l’histoire de Wally-Valentine nous arrive de manière inhabituelle puisqu’elle nous est racontée en bande dessinée. Habilement scénarisée par Valérie Villieu et superbement mise en images par Antoine Houcke, elle commence par l’évocation du père de Wally, Herman Danzig, pris au piège à Paris, en 1914, le jour où l’Allemagne déclare la guerre à la France. Comme il est austro-hongrois, il est aussitôt enfermé dans un camp d’internement. Ce n’est qu’au bout de quatre ans de captivité qu’il peut rentrer à Leipzig. Or, paradoxalement, son amour de la France a grandi, au point qu’il en a appris la langue.
Plus tard, en octobre 1926, il se décide à quitter Leipzig pour venir s’installer en France, précisément. Entretemps, il s’est marié et est devenu père de quatre enfants, dont Wally, qui est née le 20 mars 1926. Une autre petite fille vient au monde en 1932. Jusqu’à la guerre, la famille coule des jours heureux. Mais, malheureusement, comme on le sait, tout change lorsque la cruauté d’Hitler entraîne de nombreux pays dans un conflit aux conséquences terribles pour tant de personnes. Une page de la bande dessinée nous montre les visages des jeunes gens que fréquentaient Wally, visages que le dessinateur montre s’estompant, disparaissant, tous étant promis, en effet, eux et leurs familles, à la destruction orchestrée par les nazis.
Bientôt, en effet, les rafles commencent et, pour les Juifs, il est de plus en plus compliqué de survivre. Avec la collaboration des forces de police françaises, les Allemands réussissent à déporter 76 000 Juifs de France, dont 67 000 à partir de Drancy. Parmi eux, se trouve Béno, le frère de Wally. Cette dernière, elle, parvient à passer en zone libre et, son père ayant tout organisé, se retrouve à Corenc, près de Grenoble. « Zone libre » ne veut pas dire que tout est tranquille et qu’il n’y a plus aucun danger, il s’en faut de beaucoup. Pourtant, dans ce superbe décor de montagnes, Wally peut profiter d’une relative tranquillité et des beautés de la nature. Elle est partagée entre l’inquiétude pour sa famille et le bonheur de découvrir la montagne. La bande dessinée qui, jusque là, adoptait des tons gris, se pare de couleurs.
Ce contraste entre grisaille et couleurs se poursuit, dès lors, tout au long des pages de l’album. Wally apprend bientôt, en 1942, que son père, puis sa mère, ont été arrêtés et déportés. Sa sœur Jackie, quant à elle, parvient à passer les mailles du filet et à la rejoindre, ainsi que, un peu plus tard, deux amies. La vie s’organise, la peur est toujours là, les risques sont énormes et s’intensifient. Il y a des rafles, il faut se cacher, ce qui est possible avec le concours d’une partie de la population locale. Et c’est dans ce contexte que Wally rencontre Alain, un jeune homme dont elle s’éprend. Elle lui écrit de belles lettres lorsque tous deux, par la force des choses, sont séparés.
Wally échappe de peu aux arrestations. Et quand, enfin, viennent les jours de la libération, elle s’empresse, avec Alain, de retourner à Paris. Là, il y a des retrouvailles et il y a les manques, celles et ceux qui ne reviendront jamais, toutes celles et tous ceux qui ont été broyés par la monstruosité nazie.
Voilà ce que raconte Deux hivers, un été : l’histoire d’une jeune fille juive, les histoires de ses proches et la grande Histoire, comme on dit, celle qui a éliminé des millions de vies et en a bouleversé tant d’autres. Remarquablement composée, admirablement écrite, superbement dessinée, cette bande dessinée est une œuvre en tout point mémorable.