Je suis ici pour vaincre la nuit
de Marie Charrel

critiqué par Alma, le 5 août 2020
( - - ans)


La note:  étoiles
« Ecrire, c'est redonner la vie »  
S'il est des livres qui ne sont pas gâtés par leur couverture , c'est bien celui-ci !
Sa couverture n'a rien d'attirant.
De couleur « layette », elle est fade . Un comble pour présenter une artiste, peintre de la couleur ! Son illustration mièvre est loin de suggérer l'esprit d'aventurière et de pionnière de son personnage. Ce puissant roman qui rend hommage à une peintre peu connue, qui lui redonne vie et qui nous plonge dans l'intense vie artistique au tournant du 19e et du 20e siècle, peut passer inaperçu sur un présentoir de bibliothèque...... Quel dommage !

Son beau titre en forme de déclaration caractérise la démarche commune à l'auteur et à son personnage .
Si Marie Charrel compose ce roman qui relate le parcours artistique et humain de son arrière grand-tante Yvonne Brunel-Neuville (1879- 1943), c'est pour éviter à celle-ci, peintre méconnue mais talentueuse , « de rejoindre le grand néant du silence »
Le silence d'abord au sein de sa famille, celui qui se traduit par un sourire un peu gêné quand Marie Charrel interroge ceux qui ont pu la connaître ou en entendre parler par leurs propres parents. Car c'est une véritable enquête, un travail de fourmi qu'elle entreprend, consultant des archives, croisant les informations pour parvenir au bout de plusieurs années à établir le parcours de peintre et d'épouse que l'artiste a mené tout au long des 64 années de sa vie, de Paris à Alger puis à Ravensbrück.

Vaincre la nuit, ce fut aussi le combat de cette artiste.
Il fallait du courage et de l'audace pour percer dans le milieu de la peinture à la fin du 19e siècle quand on était une femme. Impossible de fréquenter l'académie des Beaux-Arts réservée aux hommes !
Et pourtant elle en avait, du talent ! Elle était née avec « un pinceau entre les doigts » ; celui que lui glissa très tôt son père, le peintre connu Alfred-Arthur Brunet-Neuville, devenu son maître qui lui apprit tout de la technique picturale. Elle peignait dans son ombre, leurs tableaux paraissaient interchangeables .
Pour devenir elle-même, il lui fallut se libérer de « l'omniprésence paternelle », d'abord en signant ses toiles du pseudonyme de Yo Laure ( ce Yo espagnol qui traduit la revendication d'une action), puis en s'affranchissant des sujets, des couleurs des tableaux de sa première période, celle où l'empreinte de la touche paternelle étouffait sa créativité.
Partie à Alger avec son époux elle chercha dans ses toiles à percer le secret de la lumière, son alchimie, son alliance étrange avec le soleil de ce pays.

Vaincre la nuit, ce fut enfin ce qu'elle accomplit lorsque, déportée à Ravensbrück, elle ne cessa par ses dessins tracés clandestinement sur de simples morceaux de papier de rendre compte des conditions horribles de la vie au camp.
« Le dessin est une résistance ». Ses croquis racontent ce que les mots ne peuvent dire, témoignent de la solidarité entre ses compagnes de l'ombre, « les vieilles de Ravensbrück », redonnent vie à ces « fantômes délaissés » dont Marie Charrel égrène les noms et apportent de « la dignité au cœur de l'enfer » 

L'ouvrage est constitué d'une alternance de chapitres dans lesquels l'auteur explique les démarches qui lui ont permis de s'informer, et de chapitres, le plus souvent datés, dans lesquels, par une sorte de journal imaginaire, elle se glisse dans tête de son personnage, lui donne la parole et lui confie le soin de raconter et de commenter sa vie.
Ce travail de création littéraire permet à Marie Charrel de revendiquer, dans un avertissement préliminaire, l'appellation « œuvre de fiction » pour ce livre. Une fiction particulièrement documentée comme en témoigne la longue liste des ouvrages sur lesquels elle s'est appuyée pour recréer la vie artistique de la fin du 19e siècle .

« Yo Laur n'est pas une grande peintre. C'est une femme libre. Une audacieuse. Est-elle dans la transgression ? Oui. Elle a renoncé à une vie facile , tracée par le père , pour plonger dans l'inconnu. Yo Laur était une pionnière. Il convient de dresser des statues aux femmes comme elle. »