Les Médailles d'argile
de Henri de Régnier

critiqué par Alceste, le 21 juillet 2020
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
La ligne des médailles et la chair de l'argile
Sonnets pour la plupart, écrits majoritairement en alexandrins, ces poèmes évoquent le pays des héros et des dieux, une Arcadie où les émois des hommes, leurs travaux et les dons de la nature sont ramenés à leur essence, ce qui constitue finalement la raison d’être de la poésie. Ce qui est célébré, c’est LA grappe, LE fuseau, LA statue, LE talon, LA trace, LA ronce…

Ce sont des tableaux ciselés avec soin, comme le requiert la forme si contraignante du sonnet, mais on sent constamment le feu brûler sous la glace.

Après les médailles votives apparaissent les médailles amoureuses, auxquelles succèdent les médailles héroïques, les médailles marines fermant le cortège. S’ajoutent une évocation du destin d’Hélène de Sparte, principalement de son entrée chez les morts, en une imagerie digne des tableaux de Böcklin, et un charmant recueil de miniatures centrées chacune sur un personnage pittoresque , intitulé « les Passants du passé ».

Quelle que soit l’inspiration, la volonté est toujours de mener le poème à une sorte d’apothéose contenue dans le dernier vers, qui résonne en point d’orgue, comme dans les sonnets de Mallarmé, lequel, soit dit en passant, tenait en très haute estime la poésie de Régnier, au grand étonnement de nos contemporains qui tiennent pour définitives les opinions formulées au lendemain de sa disparition.

Quelques-uns de ces vers ultimes, qui plongent le lecteur dans une admiration méditative :
« Mon visage plus vain que le sable éphémère. »
« M’apporte le parfum et te laisse la rose. »
« La sandale terrestre et l’aile aérienne. »
« Quelque dieu toujours jeune et longtemps souterrain. »

L’influence de Heredia, son illustre beau-père, ou d’André Chénier, le dédicataire du volume, est manifeste, mais la voix propre de Régnier se fait entendre dans ce doux balancement qui ajoute le rythme à la rigueur de la syntaxe et aux délices de la fable.

Pour illustrer mon propos, ce sonnet des « Médailles amoureuses » :

Été
La source fraîche abonde aux pieds nus de l’été
Qui mire à ce miroir sa face qui s’y penche
Entre les fleurs de l’herbe et les fruits de la branche,
Couronne de jeunesse et de limpidité.

Je rêvais de chair moite où mord la volupté,
Pomme, contour de sein ; poire, galbe de hanche,
Et je cherchais mon rêve au bruit où l’eau s’épanche,
Et l’argile cédait à mon pouce humecté,

Quand tu vins, curieuse, inquiète et farouche,
Nue et mordant un fruit qui jutait à ta bouche,
Sourire à mon travail et devant moi t’asseoir.

Et comme la médaille était grande tout juste,
Faunesse, j’ai sculpté ton visage sans voir
À ton double sabot bifurquer l’ongle fruste.