Grand Orient
de Jérôme Denis, Alexandre Franc (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 4 juillet 2020
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une approche humoristique de l'univers des Francs Maçons
Philippe, jeune parisien de 30 ans, a toujours voulu entrer en franc-maçonnerie. Il s’apprête à vivre sa première séance d’initiation, qui ne va pas se dérouler du tout comme il l’attendait. A travers ce personnage, le journaliste Jérôme Denis raconte avec humour son expérience au Grand Orient de France, en démystifiant avec humour tous les fantasmes, qui alimentent l’imaginaire des simples « moldus », autrement dit les non-initiés selon le jargon maçonnique, ou plus grave, celui des complotistes.

Ceux qui s’attendent à trouver dans cet ouvrage de grandes révélations sur les francs-maçons, cette mystérieuse organisation qui a toujours enflammé les esprits et sert régulièrement de marronnier pour la presse à sensation lorsqu’elle n’a rien à se mettre sous la dent, en seront pour leurs frais. Tout au contraire, l’auteur, Jérôme Denis, qui est lui-même entré en maçonnerie à l’âge de 38 ans, a choisi l’angle de l’humour pour brosser un tableau pittoresque et loufoque qui, certes, ne renforcera pas l’aura de la confrérie, mais aura le mérite de fissurer la boîte à fantasmes des complotistes qui pullulent sur les réseaux sociaux. Même les simples curieux et amateurs d’ésotérisme et d’envolées mystiques risquent fort d’être déçus…

Les « francs-macs » décrits ici nous ressemblent beaucoup, nous les « profanes », avec les mêmes questionnements, les mêmes préoccupations triviales, les mêmes jalousies et les mêmes débats qui traversent la société à laquelle ils appartiennent. De façon espiègle tout en conservant une certaine tendresse, Jérôme Denis commence par s’amuser de la séance d’initiation inaugurale du récit qui tourne rapidement au fiasco burlesque. Dans cette petite obédience qui manque de moyens, on se chamaille à propos des problèmes d’organisation ou administratifs, on panique quant aux manques de chaises ou de muffins pour les « Agapes », on jalouse la consœur recrutée par le Grand Orient, dont les membres, eux-mêmes, tous masculins et (forcément) un brin misogynes, cachent à peine leur mépris envers le « bas de la pyramide », malgré l’esprit égalitaire censé irriguer tous les ordres. Un bien petit monde où chaque ragot est hypocritement ponctué par l’expression consacrée « en toute fraternité ». La boucle est bouclée vers la fin du récit où l’on constate que plus ils sont haut placés, plus les francs-maçons cherchent à masquer leur appartenance à l’organisation. Et pourquoi ça ? Se livreraient-ils à des pratiques inavouables en relation avec des puissances occultes ? La réalité est beaucoup plus prosaïque, de la bouche même de ce politique (anonyme) qui refuse son aide à une « sœur » lui demandant son soutien en vue d’un manifeste sur l’éducation, par peur d’être compromis. Car comme il le dit, « être franc-maçon aujourd’hui, c’est la mort politique ». Le serpent qui se mord la queue en somme…

Quant à Alexandre Franc, qui avait signé précédemment le documentaire édifiant « Guantánamo Kid » sur les prisonniers de la guerre en Irak, il illustre plutôt pertinemment ce livre de son trait minimaliste et sobre, tout en sachant restituer avec justesse l’ironie du propos. De même, la mise en page est simple et la colorisation équilibrée.

Ce témoignage, au-delà de la drôlerie, nous renseigne davantage sur les pratiques d’une organisation méconnue, à défaut d’une initiation à l’ésotérisme… Bref, que de contradictions chez ces francs-maçons qui au final apparaissent d’abord franchouillards avant d’être francs-maçons. Le salut de l’humanité et les rapports « fraternels », eux, pourront bien attendre… « Grand Orient » constitue un témoignage inattendu et instructif qui contribue à démystifier une certaine légende née dans la nuit des temps sous l’influence d’une communauté de bâtisseurs prenant leur métier au sérieux. Légende dévoyée au fil des siècles par de grands enfants qui en ont fait un jeu de rôle basé sur des rituels abscons et ne devant sa crédibilité qu’à son passé immémorial.