Un été avec Pascal
de Antoine Compagnon

critiqué par Poet75, le 21 juin 2020
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
"Un effrayant génie"
Commencée en 2013 avec Montaigne, la collection d’ouvrage consacrée à divers écrivains, philosophes, poètes avec qui l’on est invité à passer un été (collection reprenant d’ailleurs des émissions diffusées sur France Inter) s’est enrichie chaque année d’un nouveau volume. Après Montaigne donc, il y eut Proust, Baudelaire, Hugo, Machiavel, Homère, Valéry et, cette année, Pascal. Sans surprise, c’est Antoine Compagnon, qui écrivit le volume sur Montaigne, qui est également l’auteur de celui sur Pascal. On ne peut lire, en effet, ce dernier qu’en se référant au premier. Pascal fut un lecteur assidu de Montaigne, il le critiqua sévèrement, le railla à l’occasion (« le sot projet qu’il a de se peindre », écrivait-il), mais aussi, parfois, tout en condamnant son scepticisme et sa nonchalance, après réflexion, finit par « le rencontrer », autrement dit se trouver en accord avec lui.
Le grand intérêt du livre d’Antoine Compagnon, c’est, au moyen d’une quarantaine de chapitres très courts, de nous inciter à une lecture renouvelée de l’auteur des fameuses Pensées. Renouvelée mais aussi plus complète. Car ce que nous gardons en mémoire au sujet de Pascal n’est peut-être qu’une toute petite partie de son œuvre et de sa réflexion. Comme le note Antoine Compagnon, dans Ma nuit chez Maud (1969), film d’Éric Rohmer assez célèbre, à juste titre, deux des protagonistes dissertent longuement au sujet de Pascal, mais en limitant leurs propos au pari pascalien. Le fameux pari de Pascal ! Or, s’il a certes son importance, s’il trouve sa place dans le développement des réflexions de l’auteur des Pensées, il serait vraiment dommage de l’isoler d’un ensemble qui, même s’il ne nous est parvenu qu’à l’état de fragments, n’en a pas moins sa cohérence propre.
Le projet initial de Pascal, ne l’oublions, était de rédiger un ouvrage apologétique destiné à convertir les libertins (entendons non pas des jouisseurs, mais ceux qui exercent leur pensée en dehors des contraintes du dogme). Pour ce faire, Pascal avait imaginé un livre en deux parties : une anthropologie (qui décrit la misère de l’homme sans Dieu) et une théologie (qui décrit la félicité de l’homme avec Dieu). Comme on le sait, du fait de sa mort à l’âge de 39 ans, il ne put achever cette œuvre. Nous n’en connaîtrons jamais que les fragments, que les notes prises par Pascal, que nous appelons ses Pensées. Aussi fractionnées soient-elles, elles n’en sont pas moins une œuvre incontournable, géniale dans sa formulation, dans la forme comme dans le fond, de la langue française.
Par le moyen de multiples voies d’accès, Antoine Compagnon nous propose une aide précieuse pour mieux appréhender les subtilités des réflexions de celui que Chateaubriand désignait comme un « effrayant génie ». Virtuose de la langue française, mathématicien, physicien, philosophe, théologien, Pascal fut tout cela et plus encore. Nombreux sont ceux qui furent impressionnés par la finesse de sa prodigieuse dialectique. Et l’on ne peut le lire sans être profondément marqué. Même ceux qui rejettent la foi chrétienne trouvent en Pascal des motifs d’admiration. Si Voltaire et les autres philosophes des Lumières déploraient sa foi rigoriste, ils n’en étaient pas moins émerveillés par son génie scientifique. D’une manière ou d’une autre, Pascal peut toucher ou rejoindre les préoccupations de tout un chacun, dans la mesure, évidemment, où l’on n’est pas quelqu’un de totalement superficiel. Et si nous craignons de nous aventurer dans une œuvre marquée par le rigorisme de son auteur, ou par un ton qui semble tragique au point d’être pesant, il nous faut corriger cette étiquette trop vite accolée au nom de Pascal. Certes, il y a de la tragédie chez lui, on ne peut le nier, mais il y a aussi son contraire : l’auteur des Pensées ne se prive pas, à l’occasion, de rédiger de petites paraboles, voire d’adopter un ton léger, presque primesautier, et teinté d’humour !
Savoir vivre avec un Dieu invisible 8 étoiles

Pascal est bardé de certitudes théologiques qu'il tente de démontrer, l'existence d'un Dieu invisible, les raisons de cette distance, le caractère électif de la grâce, la place subséquemment importante des Jansénistes, son fameux pari qui n'en est donc pas un, l'ironie méprisante envers les libertins et incroyants. Mathématicien, il tente d'introduire la géométrie et les probabilités dans les réalités religieuses qu'il souhaite prouver. Convaincu du péché originel et d'une grâce accordée à quelques-uns, il reste un grand pessimiste et aussi se montre-t-il quelque peu arrogant avec celles et ceux qui ne pensent pas comme lui.
Ce personnage reste intéressant, malgré son austérité, une certaine forme d'intransigeance, avec l'air de ne pas y toucher. Je ne partage pas l'optimisme de l'éminent auteur qui lui consacre ce livre ludique, clair et bien fait. Le propos est assez richement illustré et vivant, il cite souvent la longue discussion centrale, en pleine nuit, du film Ma nuit chez Maud, d'Eric Rohmer, où il est question du philosophe.
Cette présentation campe bien le personnage dans son époque et son mode de pensée. Suffit-il à convaincre, tant par sa méthode que ses propos ? C'est à chacun d'en décider, et il reste important d'ouvrir le débat.

Veneziano - Paris - 46 ans - 26 juillet 2020