Dans la dèche à Paris et à Londres
de George Orwell

critiqué par Sibylline, le 1 août 2004
(Normandie - 73 ans)


La note:  étoiles
lumpenprolétariat
Tout d’abord, quand on lit ce livre, on a l’impression de lire un reportage. On se dit « Tiens ! Je croyais que c’était un roman, mais non, en fait, c’est le récit d’une expérience qu’il a vécue. Ce pauvre Orwell, quand il est revenu de Birmanie, il en a vraiment bavé! »
Il est impossible de douter de la réalité et de la véracité de ce qu’il nous raconte. On se rend compte alors de ce que pouvait être la vie de ces gens, il n’y a pas si longtemps que cela.
Il nous montre comment, à Paris, comme à Londres, se pratiquait au début du 20ème siècle, une forme tout à fait réelle d’esclavage qui n’était pas illégale. On constate aussi l’ampleur de l’évolution des mentalités. Ce lumpenprolétariat, je crois que l’on ne pourrait plus le trouver maintenant. Il me semble que même les ouvriers les plus pauvres n’accepteraient plus d’être traités ainsi. On se révolte maintenant pour bien moins que cela. Ces histoires de plusieurs jours sans manger… il me semble aussi que ce n’est plus possible. Du moins, pas d’une façon aussi banale. Je ne dis pas qu’il n’y a plus d’exploitation, elle est toujours bien là, mais elle a pris une forme moins primaire.
A Paris, Orwell travaille. Il est dans une misère noire, il ne possède rien, il finit par se faire embaucher comme plongeur dans un grand hôtel. Et alors là, si vous aimez vous faire servir dans les hôtels et restaurants, cela va vous passer. Bien sûr, bien sûr, ça a changé depuis, mais tout de même… On y songe après. Forcément. Il travaille jusqu’à 17, 18 heures par jour, pour avoir juste de quoi manger et il nous dépeint sans qu’il soit possible de faire mieux, la misère de ces gens toujours à la limite de mourir de faim, tenus comme au servage, trimant sans trêve, juste pour survivre, jusqu’à leurs derniers jours.
A Londres, ce n’est plus la même expérience. Orwell ne travaille pas, il vit carrément l’existence des mendiants, des trimardeurs, et là, c’est sur les asiles de nuit pour clochards, les « soupes populaires » (thé-pain-margarine) et autres bontés de l’armée du Salut que nous sommes renseignés. Et vraiment, la question que l’on se pose c’est « pourquoi les mendiants préféraient-ils cela à la prison ?» Cela y ressemble tellement, sans l’avantage de la faute préalable… mais bon, sans doute parce qu’on pouvait en partir.
Quand je pense à tous ces gens auxquels on a volé leur vie… Ca me laisse terriblement songeuse, car c’est de là que nous venons. Ce sont nos grands-parents. Ce n’est pas si loin ! Ca me fait penser à la chanson de Brel « Jaurès »
Et puis tout de même, je me suis dit « Mais c’était moins terrible pour Orwell, il ne faisait pas vraiment partie de ce monde de misère. Il n’y était pas condamné à vie. S’il le voulait, il pouvait le quitter et retrouver son milieu social et une situation plus confortable. Il vit la même misère qu’eux, mais il n’a pas à se désespérer de ne pouvoir en sortir et cela fait une énorme différence. » et, en réfléchissant à cela, j’ai réalisé l’incohérence qu’il y avait dans mon raisonnement. George Orwell (de son vrai nom Eric Blair) n’avait pas pu vivre vraiment ce qu’il nous contait là, du moins pas de cette façon. J’ai fait des recherches et j’ai lu, sous la plume de Crick, « le style dépouillé du documentaire est en réalité une création artistique parfaitement délibérée. » et de Simon Leys, très justement : « Les faits par eux-mêmes ne forment jamais qu’un chaos dénué de sens : seule la création artistique peut les investir de signification, en leur conférant forme et rythme. »
Il n’en reste pas moins que le matériel, Orwell est allé le chercher. Il a plusieurs fois et longuement endossé les vêtements de ces gens et vécu comme eux, avec eux, dans le but de témoigner ensuite de ce qu’était leur vie. Il l’a fait par conviction, comme tout ce qu’il a fait dans sa vie et il a fait du bon travail.
Expérience insensée 10 étoiles

Il s'agit du récit des mois passés volontairement par Eric Blair (George Orwell) dans l'indigence à Paris et à Londres. Les critiques précédentes en ont bien rendu compte et je voudrais prendre un angle diffrent des leurs. Il s'agit du premier livre publié en 1933 sous le pseudonyme de George Orwell, décision conjointe de l'auteur et de l'éditeur. Il est le résultat de la démarche particulière d'Orwell qui consiste à faire une expérience concrète plutôt que d'élaborer un traité théorique. Il a donc vécu pluieurs mois en tant que miséreux à Paris et que vagabond à Londres. De ces deux apprentissages il tire une série de portraits hauts en couleur de personnages rencontrés à Paris (Charlie, Boris, Furex et d'autres) et à Londres (Paddy, Bozo). Å Paris il fait l'expérience de la misère et de la recherche obstinée d'un emploi, ce qui lui permet de décrrire la vie d'un des grands hôtels et de l'existence douloureuse des employés, comme de la saleté des lieux invisibles qui servent le luxe accordé aux clients. Å Londres il mène la vie d'un vagabond sans argent qui va d'asile de nuit en asile de nuit sans la moindre espoir d'en sortir, rencontrant des épaves humaines meurtries par la mendicité, la faim et la misère sexuelle. Bien entendu le récit est magnifié par la qualité de l'expression littéraire, qui lui donne tout son sens. Publié une première fois en France en 1935 sous le titre de "La vache enragée", il a été repris ultérieurement sous un titre plus proche du titre anglais. Lequel de nos grands penseurs du XX° siècle a-t-il tenté une exprience comprable? Å ma connaissance, aucun. Cela, comme sa paricipation ultrieure à la guerre d'Espagne, fait d'Orwell un esprit singulier dont j''estime hautement les écrits pour ce q'ils décrivent de l'époque comme pour les résonnances qu'ils ont dans le monde d'aujourd'hui.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 7 septembre 2023


Sans domicile fixe 9 étoiles

Dans les années 30, George Orwell, encore inconnu, séjourne à Paris dans un quartier défavorisé qu’il nomme « le Coq d’or ». Dans un hôtel miteux, il loue une petite chambre remplie de cafards pour la modique somme de 35 francs. Il survit en donnant quelques cours d’anglais. Un jour, il se fait voler son modeste pécule et se retrouve ainsi à essayer de survivre avec juste 6 francs par jour. Il réduit drastiquement son train de vie, ne donne plus son linge à laver, ne va plus au restaurant et doit se contenter d’un peu de pain, de vin et de margarine. Il commence à s’ennuyer ferme. Puis l’été arrivant, il perd ses élèves et ainsi ses tout derniers revenus. Il ne lui reste plus qu’à proposer toute sa garde-robe au Mont-de-Piété. Il s’attend à recevoir au moins 300 francs, on ne lui en donne que 70. Il finit par trouver une place de plongeur dans les cuisines crasseuses d’un hôtel. Il doit y trimer dans la chaleur et la saleté six jours sur sept et jusqu’à 17 heures par jour. Le samedi, il ne lui reste plus qu’à aller se saouler jusqu’à deux heures du matin… Quand il rentre à Londres, sa situation empire encore. Il devient carrément clochard…
« Dans la dèche à Paris et à Londres » est un témoignage émouvant sur un épisode peu connu de la vie du célèbre auteur de « 1984 », doublé d’une étude comparative de la pauvreté dans les deux capitales. La vie y est aussi terrible pour les SDF de chaque côté du Channel avec des difficultés supplémentaires du côté britannique. Si un clochard peut dormir sur des cartons au-dessus d’une bouche de métro ou ailleurs à Paris, c’est impossible à Londres où la police veille à ce que personne ne dorme dehors, même assis sur un banc. La mendicité y est aussi interdite et passible d’emprisonnement. On ne peut rester qu’une seule nuit dans des asiles crasseux, bondés et mal chauffés. Seule compensation, le thé et les deux tartines de pain des instituts religieux genre Armée du Salut en échange d’une assistance aux offices. Un des chapitres va même plus loin dans l’étude sociologique des « tramps » (vagabonds, traine-savates) anglais dans laquelle Orwell cherche à tordre le cou à toutes sortes d’idées reçues. Non, on ne devient pas clochard par esprit nomade ou par alcoolisme. Non, les SDF anglais ne peuvent pas être des ivrognes, car ils n’ont même pas les moyens de se payer la moindre pinte de bière. Et s’ils trainent lamentablement dans les villes et sur les routes, c’est qu’ils y sont obligés par la règle idiote d’une seule nuit en asile. Orwell propose des solutions très proches de celles des « Compagnons d’Emmaüs » du célèbre Abbé Pierre pour réhabiliter par le travail ces hommes privés de tout. Intéressant et toujours d’actualité à presque un siècle de distance.

CC.RIDER - - 65 ans - 6 avril 2022


La misère au XXème 8 étoiles

Voici un "livre - expérience" dans lequel Georges Orwell présente sa vie à Paris et à Londres, il y décrit avec précision la vie au XXème siècle sans aucun moyen financier ou presque. J'ai particulièrement apprécié les descriptions détaillées qu'elles concernent l'environnement dans lequel il vivait que les personnes qu'il a côtoyées. On y trouve des personnages avec toute sortie d'histoire de vie, la plupart d'entre eux partageant un caractère commun : l'espoir ! Certes par moment on peut trouver quelques longueurs mais celles-ci permettent justement de comprendre au mieux sa situation, la sensation d'impasse de laquelle il n'est pas simple de sortir. Enfin, petit bémol pour ma part car je me suis sentie parfois un peu perdue par les notions d'argent utilisées en Grande-Bretagne (shilling, pence, couronne...), certainement du fait de la traduction et de ma quasi inexistante expérience anglaise !

AmaranthMimo - - 33 ans - 25 septembre 2016


GENIAL 8 étoiles

Descriptions très réussies de la misère dans les années 20, à Paris et à Londres. J'ai beaucoup aimé les personnages et le côté autobiographique attachant de l'auteur.

Les deux derniers chapitres sont plein d'enseignements, toujours valables à notre époque.

Très bon bouquin, 300 pages, se lit très facilement.

Ben75011 - Paris 11e - 35 ans - 18 octobre 2015


Excellentissime ! 9 étoiles

George Orwell, écrivain britannique, de son vrai nom, Eric Arthur Blair, est né en 1903 et est décédé à Londres en 1950. .Il séjourna à Paris en 1928 où il connut la galère, si pas la dèche, travaillant comme plongeur au fameux hôtel X et à l’auberge Jehan Cottard. Il crécha dans un hôtel plus que minable comme il en existait à satiété au temps des « Apaches ». En 1929, il retourne à Londres et en Angleterre mais ce n’est guère mieux puisque là il devient chemineau, soit clochard et SDF. C’est ce qu’il raconte dans cet extraordinaire bouquin qu’est ce « Dans la dèche à Paris et à Londres ».

Une véritable merveille dans le style et donc à chaudement recommander.
Se lit facilement et on y apprend bien des chôses, le tout avec pas mal d’humour noir ou especially british … Comme par exemple, ce qui suit :


Extraits :




- La faim réduit un être à un état où il n’a plus de cerveau, plus de colonne vertébrale. L’impression de sortir d’une grippe carabinée, de s’être mué en méduse flasque, avec de l’eau tiède qui circule dans les veines au lieu du sang. L’inertie, l’inertie absolue, voici le principal souvenir que je garde de la faim. (…)

- C’est pourquoi les garçons (de café) sont rarement socialistes, ne disposent d’aucun syndicat digne de ce nom et font des journées de douze heures. (…) Ce sont des snobs, qui se complaisent plutôt dans la servilité inhérente à leur métier.

- Car rien ne peut être plus simple que la vie d’un plongeur. Il vit au rythme des heures de travail et des heures de sommeil. Il n’a pas le temps de penser : pour lui le monde extérieur pourrait aussi bien ne pas exister. Paris se réduit pour lui à l’hôtel, au métro, à quelques bistrots et au lit où il dort.

- Pour les punaises de lit, Mario m’avait indiqué un remède infaillible : du poivre. Evidemment, cela fait éternuer, mais les punaises, qui ont horreur du poivre, préfèrent émigrer vers d’autres chambres.

- La plupart des gens ont les hôtels en horreur. Il est de restaurants meilleurs que d’autres, mais il est impossible de faire dans un restaurant, pour la même dépense, un repas comparable à celui qu’on peut avoir chez soi.

- Croisant un homme mal habillé, une femme réagit par une sorte de frisson traduisant une répulsion comparable à celle que pourrait lui inspirer la vue d’un chat crevé.

- Il était prêt à accepter chaque sou que lui fournissait la charité organisée, à condition de ne pas avoir à dire merci en échange.

- il est avéré que jamais, ou presque jamais, une femme ne jette les yeux sur un homme beaucoup plus pauvre qu’elle.


Vous pouvez lire ce livre en pdf ici :

http://yellobook.cm/admin/uploads/…

Catinus - Liège - 72 ans - 22 septembre 2013


Intéressant mais quelques longueurs 6 étoiles

J'ai beaucoup apprécié les deux premiers tiers dans lesquels Orwell décrit avec grande précision la misère à Paris et le monde de la restauration et de l'hôtellerie pour ceux qui sont tout en bas de l'échelle, les plongeurs. La théorie du travail comme une forme moderne d'esclavage, si elle n'est pas forcément originale, n'en est pas moins fort intéressante.
En revanche, j'ai trouvé la description de la misère à Londres beaucoup trop répétitive. J'ai eu l'impression de lire la même chose à de nombreuses reprises ce qui m'a rendu la lecture plus laborieuse et entraîné finalement un sentiment globalement mitigé sur cette oeuvre.

Cyrus - Courbevoie - 47 ans - 5 avril 2009


"Incohérence" 7 étoiles

Pour continuer sur un ton plus "XXI ème" : Les naufragés de Patrick Declerck "Terre Humaine" poche. Le "romantisme" en moins...

Ocenebres - Liège - 67 ans - 1 août 2004