La Planche de vivre
de Collectif

critiqué par Septularisen, le 13 juin 2020
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
ANTHOLOGIE POÉTIQUE PERSONNELLE DE RENÉ CHAR.
«UNE VISION»

Il est une heure de la nuit où le monde se tait,
Et durant cette heure de prodiges et d'offrandes
Le char volcanien de l'univers
Roule à découvert dans le sanctuaire des cieux.

Alors, chaos sur les eaux, la nuit se fait plus compacte ;
La conscience oblitérée, tel Atlas, presse la terre noire,
Et seule l'âme virginale de la Muse
Est agitée par les dieux, de songes qui prophétisent!

Théodore TIOUTCHEV

Voici un livre vraiment de poésie très «inhabituel», de par son style et son contenu. Je ne sais pas trop comment le qualifier : Recueil? Anthologie? Choix de poèmes? Divertissement?...
On peut toutefois affirmer sans trop craindre de se tromper qu’il s’agit en fait de l’anthologie poétique personnelle de René CHAR (1907 – 1988), étant donné qu’il en a choisi et traduit chacun des poèmes en compagnie de celle qui fut sa compagne: Tina JOLAS (1929 – 1999).

On trouvera donc ici la traduction française des deux auteurs et dans leur langue originale des poèmes de tous les temps et de tous les pays. On remarquera toutefois un grand choix de poètes de langue anglaise [ William SHAKESPEARE (1564 – 1616) ; William BLAKE (1757 – 1827) ; Percy Bysshe SHELLEY (1792 – 1822) ; John KEATS (1795 – 1821) , Emily BRONTË (1818 – 1848) et Emily DICKINSON (1830 – 1886)] et de langue russe [ Anna AKHMATOVA (1889 – 1966) ; Boris PASTERNAK (1890 – 1960 Prix Nobel de Littérature 1958) ; Ossip MANDELSTAM (1891 – 1938) ; Vladimir MAÏAKOVSKI (1893 – 1930) ; Marina TSVÉTAEVA (1892 - 1941)]…

Que dire de plus? Les poètes et les poèmes choisis n’ont aucun point commun, si ce n’est peut-être un aspect, une vision disons «surréaliste» (chère à M. CHAR…) du monde et leur brièveté, jamais plus de deux pages. Ce recueil ressort donc plus comme un exercice de style, une sélection sans doute plus arbitraire que tout autre chose.. A moins que le grand poète français n’ait simplement voulu se faire plaisir, en «jetant» ses traductions personnelles de ces quelques poètes sur le papier!..

Comme beaucoup d’anthologies, l’intérêt du tout se révèle donc dans la découverte de poètes méconnus et que l’on a très peu l’habitude de lire, ici p. ex. traduits de l’espagnol Lope De VEGA (1561 – 1627) et Miguel HERNANDEZ (1910 – 1942) ou bien encore les russes Théodore TIOUTCHEV (1803 – 1873) à lire au début de cette recension, et Nicolas GOUMILEV (1886 – 1921) à lire juste ici dessous:

«NOUS AVONS OUBLIÉ…»

Nous avons oublié que le mot seul
Brillait radieux sur la terre bouleversée,
Et que dans l’Évangile de saint Jean
Il est écrit que le mot est Dieu.

Et nous avons ramené son champ
Aux indigentes limites de ce monde,
Et comme des abeilles mortes dans une ruche vide,
Morts, les mots exhalent une odeur vireuse.

En conclusion, disons un livre à découvrir pour «réviser» ses classiques, et découvrir des poètes plus méconnus…

P. S. : Outre les poètes déjà cités plus haut on trouvera aussi : Traduit du provençal: Raimbaut De VAQUEIRAS (1155 – 1207) ; traduit de l’italien PÉTRARQUE (1304 – 1374) ; et traduit de l’allemand par Pierre Jean JOUVE et Pierre KLOSSOWSKI : Friedrich HÖLDERLIN (1770 – 1843).
On notera aussi une introduction complètement (mais alors complètement !...) surréaliste (pour ne pas dire «déjantée»…), de René CHAR, des notes, une bibliographie et une biographie très détaillée de chaque poète présenté dans le recueil.

JE ME LAVAIS DE NUIT…

Je me lavais de nuit dans la cour –
Le firmament brillait d'étoiles rêches.
Rayon de l'étoile comme du sel sur la hache,
Pleine à ras bords refroidissait la cuve.

On a verrouillé le portail,
Et la terre, en conscience, est rude, –
Où trouver substance plus pure
Que la vérité écrue de la toile fraîche?

Pareille au sel l'étoile fond dans la cuve,
Et l'eau froide devient plus noire,
Plus pure la mort, plus salé le malheur,
Et la terre plus vraie, plus épouvantable.

Ossip MANDELSTAM