Volia Volnaïa
de Victor Remizov

critiqué par Tistou, le 28 mai 2020
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Le souffle de la Sibérie
Paradoxalement Volia Volnaïa (« Liberté libre ») m’a fortement évoqué l’impression de sauvagerie et le souffle des grands espaces de Indian Creek de Pete Fromm. Sibérie vs Rocheuses. Même nature indomptée, potentiellement dangereuse, inhospitalière l’hiver … mais la comparaison s’arrête là.
S’y ajoute dans le cas de Volia Volnaïa l’atmosphère spécifique à la Russie, et à la Sibérie. Je veux parler de l’aspect délétère du pouvoir en place, de la corruption quasiment organisée par la police, réglementée (dans le cas du trafic sur les ressources locales : peaux de zibelines et œufs de saumon, « l’or rouge »), de l’absence d’espérance et de perspective pour ce peuple sibérien qui survit de rien. Etonnant à la limite que ce roman ait pu être écrit par un romancier vivant en Russie et publié. C’est que le pouvoir en place en prend pour son grade, et connaissant le faible seuil de tolérance du sieur Poutine ?
En tout cas c’est bien à un passionnant roman que nous avons droit.
»Un Jim Harrison russe » est-il mentionné sur la jaquette. Il y a de ça, mais en plus politique. Normal dans la mesure où ce n’est pas forcément la nature la plus dangereuse par là-bas, en Russie. Il y a donc forcément une dimension politique.

» - Tout le monde s’est dégonflé. Kobiak, lui, est le seul à s’être braqué contre ces enfoirés et leur pouvoir. Il défend son honneur. Et donc … le mien. Nous en avons le droit ! Mais eux, ils ont autre chose en tête. Nos autorités n’ont pas besoin de mecs solides. Il y en a un qui est champion de sambo et de judo, ça leur suffit. Un seul pour toute la Russie. Il n’en faut pas plus. On préfère des types qui baissent la tête plus bas que leurs couilles. Comment est-ce possible ? »

Dans ce village perdu au fond de la taïga sibérienne, les seuls dérivatifs – et moyens d’améliorer la subsistance – sont la chasse à la zibeline l’hiver ainsi que la récolte des œufs de saumon, destinés à être acheminés vers Moscou. Rien d’officiellement légal bien sûr, au moins pour les œufs de saumon, mais moyennant 20%, il y a moyen de « s’arranger » avec la police locale. Sauf qu’un évènement qui aurait pu rester anecdotique – un chasseur plus impétueux que les autres qui se rebiffe contre l’injustice lors d’un contrôle et malmène le débonnaire chef de la police locale – va bouleverser le modus vivendi classique, via l’envoi par Moscou de Forces Spéciales venues mâter la « rébellion ». Ca va dégénérer grave et laisser quelques âmes sur le carreau. Et puis on devine que ça se tassera et reprendra un train-train qui permet à tout le monde de vivoter.
C’est cette histoire que raconte Victor Remizov mais au-delà de l’histoire il y a la mise en avant de cette nature formidable l’hiver et de ces hommes dont le comportement nous est complètement étranger.
Grand bol d’air glacé, remarquable premier roman.
Libre arbitre 10 étoiles

Grand merci à Tistou, dont la sympathique critique de ce livre m'avait incité à me le procurer. Pour un premier roman, Volia volnaïa est plus qu'épatant.

Non loin des côtes de la mer d'Okhotsk, une bourgade vivote avec ses habitants, principalement des chasseurs et des pêcheurs. L'ouverture de la saison de la chasse coincide avec le début de ce long hiver qui recouvre la taïga sibérienne de neige. Pour plusieurs des protagonistes, cet appel de la forêt et de la nature est irrésistible. Le départ pour la chasse rime avec la joie de retrouver des horizons immenses aux vues magnifiques, de communier avec la nature. Il permet au lecteur de comprendre ce qui retient ces hommes dans un environnement aussi dur.

Le bourg somnole dans ses occupations et la police locale prend sa dime sur les différents commerces, dont celui de la récolte des œufs de saumon, trafics qui assurent la survie de ces communautés. Le racket est assez débonnaire et les habitants le subissent avec fatalisme sachant que leur isolement les livre sans recours aux strates de la corruption dont ce qui tient lieu de service public et de police ne sont que les synonymes.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes sibériens, si une indolence de plus, quelques verres de trop, ne provoquaient un incident et, du fait du caractère indomptable d'un chasseur qui n'entend pas se laisser marcher sur les pieds, une cascade de malheurs pour cette pauvre bourgade.

Victor Remizov possède un vrai talent pour décrire la splendide nature sibérienne et pour dresser une foultitude de portraits, dont, en dépit de l'étrangeté de la situation, nous nous sentons éminemment proches. Personnages attachants, ils partagent des questionnements auxquels aucun lecteur n'échappe à un moment ou à un autre de sa vie. L'homme d'affaires moscovite qui a tout plaqué pour se retrouver avec lui-même en est souvent le meilleur porte-parole.

Un livre sans concession, mais qui montre, au rebours des clichés qui sont souvent véhiculés par les médias occidentaux, à quel point les Russes peuvent s'exprimer librement et décrire certains maux qui les taraudent.

Volia volnaïa, c'est plutôt « volonté libre » que « Libre liberté », c'est le ressort, le « libre arbitre », qui existe dans chacun de nous pour ne pas se laisser asservir et abrutir par le système. Un très beau livre.

Kostog - - 51 ans - 26 février 2021