Le Cahier orange
de Bernard Caprasse

critiqué par Nathavh, le 9 mai 2020
( - 60 ans)


La note:  étoiles
le cahier orange
New York le 24 janvier 1990, Anton et son frère Carlo enterrent leurs parents Claudia et Carlo Scarzini, un couple de riches américains ayant tragiquement perdu la vie dans un accident d'avion.
Il y a du monde aux funérailles , ils étaient à la base de la fondation portant leur nom défendant l'art.

"Si les jours de funérailles sont douloureux, les lendemains sont cruels. Ils installent l'absence."

Anton est célibataire, la quarantaine bien entamée, il est avocat mondialement connu, il possède des cabinets à travers le monde. Il se retrouve dans la maison de ses parents, dans le bureau de sa maman face à un vieux grand coffre ancien qui n'a plus été ouvert depuis une éternité. Il a besoin de savoir ce qu'il contient, il le fait ouvrir et y découvre juste un objet, "le cahier orange"...

Troublé en reconnaissant l'écriture de sa maman, il découvre un roman qui commence comme suit : "Olga, sais-tu qui tu aimes ?"

L'action se déroule en Belgique, dans les Ardennes, plus précisément dans le village de Renval. Elle débute au début de l'année 1943 sous l'occupation allemande. Une jeune femme Olga nous raconte le récit. C'est une jeune femme cultivée, aimant la lecture qui a malheureusement été contrainte d'arrêter ses études à l'âge de 16 ans lors du décès de sa maman. Elle s'est alors retrouvée sous la coupe de son père, Octave Maren, le cordonnier du village, devenant sa servante.

Olga a 21 ans début 1943 et tente de prendre "sa liberté", elle tient tête à son père et s'installe dans une petite maison appartenant au comte d'Autremont en bordure d'un bois. Chaque jour elle se rend au village pour venir travailler chez son père. Faut dire que les affaires marchent plutôt bien car la réputation d'Octave n'est plus à faire, il travaille avec son fils Luc et Thomas, un rescapé de la première guerre.

Un jour, un véhicule de la Feldgendarmerie s'arrête devant la cordonnerie, et le major Kurt Molte demande à visiter l'atelier. Olga l'aperçoit et guette la conversation, il passe une commande de bottes et demande à Octave de bien vouloir le "dépanner" en réparant les chaussures de ses troupes. Par souci de discrétion, il est convenu que c'est Olga qui effectuera les livraisons en parcourant les 15 kms en vélo. Il lui rédigera un laissez-passer pour éviter les contrôles intempestifs.

L'occasion sera trop belle pour Olga de devenir un support efficace pour la résistance, elle accepte bien évidement car elle hait les allemands, cependant Olga tombe sous le charme du major et va vivre un amour véritable. La situation deviendra difficile à la libération vous l'imaginez bien, des représailles sanglantes auront lieu.

Le roman se termine à cette période et Anton termine sa lecture troublé, ne sachant plus trop quoi penser. Pourquoi sa mère n'en a-t-elle jamais parlé de ce récit ? Sa curiosité est piquée, il veut en savoir plus, fiction ou réalité ? Il va enquêter et se rendre en Europe.

C'est un roman passionnant, le premier pour Bernard Caprasse qui décrit à merveille le sud de mon pays. Le récit est bien construit. Chaque partie nous tient en haleine nous amenant petit à petit des réponses. L'écriture est fluide. Les chapitres, courts donnant un bon rythme de lecture.

Lors de la lecture j'avais l'impression de vivre avec Olga sa quête de liberté. Etre une femme libre, faire ses propres choix et vivre comme elle l'entendait, servir son pays pour une cause juste mais aussi se donner le droit d'aimer celui qui était son amour. Mais la vie n'est pas simple, les traîtres ne sont pas toujours ceux que l'on croit et c'est en femme digne qu’elle sera l'objet de représailles.

Mais qui est vraiment Olga ? Vous avez envie de le savoir alors une seule chose à faire c'est d'entamer la lecture de ce superbe roman qui nous fait revivre une partie des conditions de vie sous l'occupation, des temps difficiles, l'ambiance dans les villages. un récit qui nous parle des choix, de l'être humain et sa noirceur, de l'égoïsme, l'envie du profit mais aussi une envie de revanche, de justice ou encore la recherche d'une identité.

Une très belle réussite. Soyez curieux, vous ne serez pas déçu.

Ma note : un immense coup de ♥



Les jolies phrases

On ne construit rien de durable s'il n'y a que la passion, Anton. Elle peut te foudroyer.
Et quel est le paratonnerre ?
La raison.

Etre amoureux sans raison, oui... c'est sublime. Mais il vaut parfois mieux trouver des raisons d'aimer. Tu vois, moi, je crois que c'est le plus sûr moyen de bâtir quelque chose de fort, quelque chose qui dure.

Si les jours de funérailles sont douloureux, les lendemains sont cruels. Ils installent l'absence.

Le luxe existe pour que l'on puisse s'en passer.

Le danger ne me quitterait plus. Je l'acceptai comme un compagnon de ma liberté avec un mélange de sérénité et d'exaltation.

La meilleure manière de se dédouaner de ses crimes, c'est de leur trouver une justification morale.

Les amitiés naissent d'on ne sait quoi, un geste, un regard, une atmosphère...

Le temps arrange tant de choses, Olga. Non, Aymeric, le temps n'arrange rien. Il se contente de passer.

La force des escrocs se mesure à leur capacité de séduction.

La justice c'est la vengeance apprivoisée.
Retour vers un passé ardennais 8 étoiles

Peu de temps après le décès de ses parents survenu lors d’un accident, l’avocat New-Yorkais, Anton Scarzini découvre un étrange cahier orange. Il se rend vite compte que ce carnet est un récit autobiographique, signé par sa mère, à l’époque où elle s’appelait Olga Maren, jeune fille ardennaise, plongée en plein cœur de la seconde guerre mondiale. Peut-on à la fois être une jeune femme libre, faire partie de la Résistance et tomber amoureuse d’un officier de l’armée allemande ? Oui, mais tout cela se terminera dans le déshonneur, un massacre de civils, l’exil. Anton s’en va à la recherche de son passé. Les chapitres de cet agréable roman s’intitulent : absence, enquête, la rencontre, le châtiment, la réparation.

Comme je le disais dans ma « critique » sur le second livre de monsieur Caprasse « La dérive des sentiments » (voir plus bas), il est plus que rarissime que l’on mentionne, dans un roman, le nom de mon village natal. C’est tout bonnement improbable … et pourtant, tout arrive dans la vie. Merci à vous, Monsieur le Gouverneur !

Extraits :

* – Quel mobilier superbe, monsieur Maren. Meuble liégeois, style Louis XVI, n’est-ce pas ?

– Je n’ai aucun mérite. C’est à peu près le même mobilier qui garnit la salle à manger du manoir de Sterpigny. On a réquisitionné le manoir pour loger les officiers. Vous connaissez l’endroit ?

– Oui, c’est une propriété du baron d’Alembert.

– C’est le baron qui m’a décrit les caractéristiques de ce style. Il m’a beaucoup parlé des ébénistes liégeois. Ils sont très doués. On va veiller à rendre tout ça en bon état quand on partira de là.

* Dans un enchevêtrement savant de valises en carton et de colis hétéroclites, une fois l’an, les Italiens rentraient au pays par «L’Amsterdam-Bâle ». Le train traversait l’Ardenne belge dans la première partie du voyage. Cette fois-là, il était tombé en panne en gare de Vielsalm, petite ville de cette région. Trois heures de retard annoncé.

– Moi, je suis descendu du train, je me suis rendu dans le premier café à vingt mètres de la gare. La serveuse, une blonde, comment dire, enfin voilà elle m’a plu. J’ai décidé que je reviendrais. Bon, j’abrège … on s’est marié. Je suis resté là-bas.

* Gouvy en Ardenne était une petite ville coupée en deux par une tranchée qu’empruntait le chemin de fer. Dernière gare du pays à la frontière luxembourgeoise, ce gros bourg devait à sa situation de n’être pas pauvre. Il abritait une population de cheminots qui se mêlaient aux agriculteurs des alentours et aux ouvriers forestiers. Travailleurs, taiseux, méfiants, les Ardennais accueillaient les étrangers avec réserve. Quelques kilomètres d’éloignement suffisaient à vous considérer comme tels. S’ils vous adoptaient, il fallait du temps et y mettre du sien. Leur amitié était authentique. Dans cette région rude, les bourgeois étaient discrets, non par vertu mais par tempérament. Après tout, ils étaient des Ardennais comme les autres. Le Grand-Duché de Luxembourg les aidait efficacement à dissimuler leur aisance. Ils y logeaient leur épargne exemptée de taxes et protégé par une discrétion sans faille.

* Je vais enfin t’apprendre quelque chose. Karadja est enterré en Ardenne pas loin de chez nous, près de Beho, dans la chapelle qu’il avait fait construire dans son parc. (…) Ce prince, d’origine roumaine, avait fait graver sa devise au fronton de la chapelle : « Parce que c’est beau, c’est à aimer. » Magnifique, tu ne trouves pas ? Alors, Aymeric, aime tout ce qui est beau et tout ira bien.

Catinus - Liège - 73 ans - 31 juillet 2022


Basé sur une histoire vraie 10 étoiles

New York. 24 janvier 1990.

Dans la cathédrale Saint-Patrick, Anton contemple les cercueils de ses parents morts tous les deux, à Anchorage, leur avion ayant percuté une déneigeuse. Son chagrin est tel qu’il a asséché ses larmes.
C’est la grande foule. Ses parents n’ont-ils pas bâti un empire qui s’étale sur tous les continents ? Beaucoup d’artistes sont présents. Après tout, ne doivent-ils pas tout, ou presque aux Scarzini ?

Ah, les Scarzini ! Une famille née dans une pauvreté absolue ! Ils en ont fait du chemin !

Anton a la réputation d’être un très grand avocat : créatif, déterminé, nanti d’une bonne dose de mauvaise foi, défendant ses clients avec acharnement.


Critique :

Dès la première page, je suis emporté par l’écriture de Bernard Caprasse. Il n’a guère fallu de temps pour lier connaissance avec Anton Scarzini, sa douleur, sa perte, son attitude d’homme collectionnant les femmes, les aimant avec passion avant de les rejeter sitôt que leurs qualités se transforment en défauts à ses yeux.
Et puis, on remonte le temps et on change de continent pour faire la connaissance d’une splendide jeune femme belge, Olga. Elle est la fille d’un cordonnier réputé, mais près de ses sous, j’oserais même le taxer d’avare. Un beau jour, le major de la Feldgendarmerie, Kurt Molte, pénètre dans la boutique de son père et lui demande s’il accepterait d’entretenir les chaussures de ses hommes, contre monnaies sonnantes et trébuchantes. Bon ! D’accord ! Le client est un boche ! Un occupant au service du pouvoir nazi, mais peut-il s’exposer à la colère d’un envahisseur vexé par un refus ? Et puis, c’est la guerre ! Il faut bien vivre. Cet argent peut-il se permettre de le refuser ?
L’accord est passé et c’est Olga qui, à vélo, doit aller chercher et déposer les godillots à la Kommandantur. Pactiser avec l’ennemi est assez mal vu, on peut le comprendre. Prendre soin de leurs petits panards c’est de la trahison au regard de certains…
Mais le pire, c’est qu’Olga va tomber amoureuse de Kurt Molte… Comment ? Qui c’est ? Mais le fringant major de Feldgendarmerie. … Un barbare ? … Mais pas du tout ! Un homme raffiné, élégant, respectueux, très cultivé, un homme qui prend le temps de l’écouter, qui lui accorde beaucoup d’attention… Un homme très attiré par Olga… Il l’invite au restaurant à Liège, et pas n’importe lequel !

Olga est sur un petit nuage, nimbé de brouillard, et ne se rend pas vite compte que l’atmosphère change autour d’elle. Ses bonjours joyeux ne reçoivent guère d’écho. Son amie, Léa, sa confidente à l’époque du lycée, lui tourne le dos lorsqu’elle la voit arriver pour ne pas avoir à lui parler. Un jour, le doute n’est plus permis, tout le village est au courant de sa relation avec Kurt lorsqu’elle se fait agripper par sa voisine Eugénie, vous savez, celle qui pue de la gueule ! La seule femme à laquelle les femmes du village ne redoutent pas de voir leurs hommes parler !

Olga est donc devenue une vilaine collabo aux yeux des villageois… La maîtresse du sale boche ! Un crime impardonnable aux yeux des villageois… Et surtout des villageoises ! Imaginez celles dont le mari, le frère, le fils, est prisonnier de ces saletés de nazis… Quand il n’a pas déjà été tué… Imaginez les sentiments qu’elles pourraient éprouver pour l’une des leurs, super jolie de surcroît, qui couche avec une saloperie d’Allemand !

Pourtant, c’est Olga qui héberge dans sa cave des résistants de tous les bords, des réfractaires au Service du Travail obligatoire, des pilotes abattus, des prisonniers évadés… C’est encore elle qui fournit à la résistance des renseignements sur les opérations en cours puisqu’elle traverse plusieurs pièces de la Kommandantur pour aller déposer les godasses des feldgendarmes, et comme elle n’a pas ses yeux dans sa poche…
Et Kurt, son Kurt, n’aime guère le régime nazi. Il va même se compromettre pour elle…

L’ennui avec ce roman, c’est qu’il est basé sur une histoire bien réelle. En sa qualité de gouverneur de la province de Luxembourg, Bernard Caprasse a essayé de réhabiliter cette femme… Mais encore de nos jours, les rancunes, aussi injustes soient-elles, ont la vie dure et persistent alors même que la plupart des protagonistes sont décédés.

Entendez-moi bien : lorsque j’utilise le mot « ennui » dans le paragraphe précédent, il n’a strictement rien à voir avec ce que l’on éprouve à la lecture de ce roman. C’est tout l’opposé : un plaisir d’avancer dans l’histoire, tout en se demandant quel lien il pourrait bien y avoir entre Olga et Anton. Je voudrais bien vous le dire, mais vu mon grand âge, il se pourrait bien que j’aie oublié…

Ce livre est en lice en Belgique pour deux prix, dont le prix des lycéens, un prix prestigieux puisque décerné par plus de 3000 jeunes qui auront lu les cinq romans choisis par un groupe de professionnels…

Quel dommage que lorsqu’un livre est publié par un éditeur belge, les distributeurs français ne se donnent guère la peine de leur offrir une petite chance alors même que ces livres pourraient intéresser un très large public… Et pas que français ! L’histoire rapportée dans « Le cahier orange » est un récit universel.

Une page d’histoire, une étude de mœurs, un amour authentique… A lire absolument !

Saigneur de Guerre - - 66 ans - 11 juin 2022